S’il est de notoriété publique que Christopher Nolan soit l’un des cinéastes les plus importants de ces quinze dernières années, je dois bien avouer que je ne suis pas un grand fan du bonhomme. Depuis le début de sa carrière, il s’est illustré avec un talent certain dans des oeuvres percutantes et personnelles, très éloignées des canons hollywoodiens standards de part une dimension tragique et sombre qu’on ne retrouvait pas dans les grosses productions populaires. Dimension qui s’est d’ailleurs imposée et banalisée dans bien d’autres blockbusters récents depuis le succès de The Dark Knight qui l’a intronisé ‘cinéaste culte’ dans le paysage cinéphilique et son milieu professionnel.


Seulement voilà, ses films aux concepts ambitieux portés par une écriture ampoulée et hyper programmatique ne m’ont jamais captivé plus que cela.


S’il est extrêmement cohérent dans sa filmographie avec des thématiques récurrentes (personnages qui se mentent à eux même, expérience de la mémoire et de l’oubli, mort d’une femme provoquée par de sombres obsessions et un aveuglement, destinée tragique du héros), c’est davantage sa maîtrise de l’ellipse et du montage qui ont fait la singularité et la renommé du réalisateur britannique. En brillant technicien, Christopher Nolan sait captiver le spectateur comme peu savent le faire ! Il construit ses récits vertigineux avec une grande habileté, provoquant une enivrante catharsis et une profonde fascination pour ceux qui se laissent emporter par ses successions d’images ou la réalité et l’illusion cohabitent et brouillent sans arrêt nos repères habituels.


Trop conscient de ses effets et beaucoup trop avare en explication, son cinéma – qui laisse finalement peu de place au mystère et ne suscite jamais l’imagination du spectateur – ne procure en moi aucune émotion, la faute à une surenchère d’information dont la finalité est justement de nous faire frémir et ressentir une émotion calculée à l’avance. Mais il faudrait être de mauvaise foi pour réduire de la sorte sa ‘patte’ car il a, à n’en point douté, apporté une réelle nouveauté dans la manière de faire des films dans les années 2000. Mais revenons en à nos moutons …


En 2006, le projet Interstellar tombe entre les mains de Steven Spielberg qui demande à Jonathan Nolan d’en écrire un premier jet afin qu’il réalise le film. Mais trop occupé dans ses nombreuses productions, Spielberg demande cinq ans plus tard à Christopher Nolan de le remplacer au poste de metteur en scène. Ce dernier suggère alors à son frère (qui a très souvent écrit pour lui depuis le début de sa carrière) d’enrichir le script avec quelques unes de ses idées en plus d’être secondé par un savant de renommée mondiale, Kip Thorne (1), dont les thèses apporteront un point du vue scientifique considérable au scénario afin que la fiction soit le plus réaliste possible.


Etonnamment, j’étais plutôt excité de découvrir le film quand le jour de sa sortie approchait car j’affectionne particulièrement la science fiction. Je me suis dit que le style du cinéaste, avec pour décor la conquête spatiale et l’espace-temps, ne pouvait que s’épanouir ou pouvait trouver une certaine forme d’exaltation en expérimentant avec un brin de folie des sujets pareils. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un film assez sobre en effet narratif et de mise en scène qui laisse, pour la première fois de sa carrière, la part belle à ses personnages ! Dans l’absolu, j’avoue avoir passé un très bon moment même si je l’ai très vite oublié depuis. Explication.


Avant toute chose, il faut que je m’exprime concernant la comparaison malheureusement inévitable que la presse et les gens font entre Interstellar et 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, qui ont pour seul point commun l’exploration spatiale. Si à ce propos je me fiche bien du statut culte du film de Kubrick, l’identité respective des deux cinéastes sont tellement éloignées l’une de l’autre – autant sur le fond que dans la forme – qu’il m’est difficile d’établir un lien rationnel. Christopher Nolan se sert de la technique pour créer une tension et une attraction savamment orchestrées pour obtenir des effets voulus là où Kubrick développe un langage poétique, symbolique et métaphysique en laissant une place profonde à l’interprétation et surtout, en multipliant les niveaux de lecture. Et Interstellar ne possède aucune de ses caractéristiques.


Avant de citer les qualités du film, car il en possède plusieurs dont une à la hauteur de son ambition, je vais d’abord me pencher sur ce qui m’a posé problème. Tout d’abord, si j’ai plutôt apprécié la première partie sur la terre, je trouve dommage que le décor post-apocalyptique ne soit réduit seulement qu’à une petite région de l’Amérique rurale. Le cadre dans lequel évolue la longue mais passionnante introduction est à mes yeux trop restreinte et n’épouse pas assez une vision d’ensemble ou se marierai état global du monde et détresse de l’humanité. Si le récit est clairement centré sur la relation père/fille, je trouve dommage que des enjeux à l’échelle de la planète ne soit pas développés.


Cette carence bénigne est heureusement compensée par une émouvante relation que Nolan tisse admirablement entre Cooper – le protagoniste joué par Matthew McConaughey – et sa fille Murph avec une authenticité et une profondeur qui ne lui ressemble pas du tout : on sent en tout cas bien ce qui avait intéressé Spielberg dans cette histoire entre une enfant et son père, sujet de prédilection qui a du attiré son attention et qui n’a pas été occulté dans son résultat final. C’est d’ailleurs là que réside la force et l’intérêt d’Interstellar. On est véritablement ému par cette affection fusionnelle qui insuffle une synergie sibylline à l’intrigue de science fiction, en plus d’être le coeur même du film !


Mais à peine une demie heure plus tard, l’apparition de la première grosse faiblesse scénaristique fait presque flancher cette intimité qui s’est créée entre eux et le spectateur. A savoir quand, en à peine cinq minutes montre en main, Cooper, qui s’approche d’une base secrète de la NASA avec sa fille, passe d’intrus suspect à héros tout désigné pour sauver le monde.


Les rares fois où il privilégie la respiration et la psychologie pour poser les bases de son histoire, voilà que Nolan retombe inexorablement dans ses travers et son maniérisme formelle. De la rencontre entre Cooper et les scientifiques qui prévoient d’évacuer la terre au départ précipité de l’équipe d’astronautes dans l’espace avec Cooper comme pilote, s’enchaînent alors des séquences saturées de bavardages explicatifs et de présentation rapide entre les divers personnages, si bien que mon engouement s’est assoupit aussitôt. Mais bizarrement, pas mon intérêt pour l’histoire (… dont j’avais deviné la fin dans un coin de ma tête à propos de la présence du fantôme dans la chambre de Murph).


Autre point négatif et pas des moindres ! Une fois passé le trou noir avec une navette de reconnaissance, quand Cooper, Doyle et Amélia/Anne Hathaway explorent la première planète, ils ne restent que quelques heures et retournent vite au vaisseau mère, l’Endurance, quand ils se rendent compte qu’elle n’est pas habitable. Seulement, en empruntant le trou noir, une heure sur cette planète équivaut à sept années sur l’Endurance, soit, dans notre galaxie. Quelle ne fut pas leur surprise quand ils retrouvent leur compagnon Romilly qui était resté là à les attendre ! Et bien en fait, il n’y a pas de surprise. L’astronaute, qui les a attendu toutes ces années, n’a subit aucun traumatisme et ne semble pas plus perturbé que cela quand il annonce tout le temps qu’il s’est écoulé.


Ce genre d’expérience sur l’isolement et la solitude doit indéniablement laisser une trace lisible sur le comportement de Romilly. Nenni ! De plus, Cooper et Amélia annoncent dans la même séquence que Doyle, le quatrième astronaute, a été emporté par une vague géante sur la planète. Cette disparition n’occasionne pas tant de peine que cela aux protagonistes et s’approchent alors de la prochaine planète à explorer. On retrouve encore une fois, dans ces instants, le manque effarant de psychologie qui dessert souvent ses oeuvres, si bien que je n’ai pas été une seule fois ému ou surpris par cette information qui n’est là, encore une fois, que pour faire avancer le récit. Mais là ou Nolan est quand même doué, c’est qu’on reste malgré tout happé par l’histoire sans que les temps faibles amoindrissent l’effet de catharsis.


Il y a une guest-star non créditée assez surprenante qui fait son apparition dans la deuxième moitié du métrage. En effet, sur une planète glacée, les astronautes découvrent le professeur Mann toujours en vie dans son caisson d’hibernation. Si la surprise est totale et ne choque pas trop dans les premiers échanges, il m’a été difficile d’être complètement convaincu quand on apprend alors quelles étaient ses véritables motivations. Je trouve sincèrement que ce n’était pas l’acteur idéal pour incarner ce personnage qui ne colle pas trop avec les rôles qu’il a l’habitude de jouer. Effet complètement loupé et s’en est fini pour les reproches !


Pour rebondir sur les points positifs, je commencerais par parler des robots CASE et TARS qui sont les éléments les plus surprenants et déroutants d’Interstellar (voir photo ci dessus). Ils dénotent vraiment de l’ensemble et sont la petite touche fantaisiste du film, insufflant un second degrés bienvenue qui apporte un certain équilibre et une tonalité rafraîchissante avec l’aspect pesant des ambiances recherchées par Nolan. Leur design dépouillé et austère n’est pas sans évoquer le monolithe noir de 2001 l’odyssée de l’espace et il s’agit sans nul doute du clin d’oeil le plus subtil du film à celui de Kubrick. Ils ont une vraie allure, de la personnalité et une mécanique originale pour se mouvoir et se déplacer qui les rend autant atypique qu’attachant.


Mais la puissance et l’élégance d’Interstellar provient sans hésiter de sa tenue visuelle et de son imagerie qui apportent une nouvelle pierre à l’édifice du cinéma de science fiction. L’aspect granuleux de l’image renoue avec un cinéma plus traditionnel et Ô combien plus agréable à l’oeil que l’outil numérique qui, quand on abuse de ses possibilités, rend les formes et les couleurs à la fois lisses et artificielles. Si la haute définition des caméras numériques a permi de franchir une nouvelle étape dans la façon de faire des films, je fais parti des cinéphiles qui apprécient bien mieux la pellicule et Nolan nous rappelle, et c’est la grosse qualité que j’évoquais plus haut, que les images de synthèses et la pellicule sont un mariage absolument saisissant quand elles sont utilisées de la sorte.


Dans les cadrages baignent constamment une atmosphère ou l’intime se confond avec le spectaculaire : sur la planète océanique et le monde glacé, la lumière éthérée et les textures grisonnantes et argentées apportent une dimension sensitive à ses sublimes paysages extraterrestres qui restent bien gravés dans la mémoire. Et juste pour ça, je tire mon chapeau à Christopher Nolan et toute son équipe technique qui nous offrent un spectacle d’une grande beauté plastique comme j’ai rarement l’habitude d’en voir : je ne suis pas près de retrouver ses sensations sur un petit écran ! Dans l’une des dernières scènes du film – sans doute le climax – on retrouve d’ailleurs son goût pour les trompe l’oeil ludiques et vertigineux qu’il affectionnait tant dans Inception (2010).


Si la plupart des planètes explorées par les astronautes sont à la fois sobres, impressionnantes et superbement bien pensées, la mention spéciale revient sans aucun doute au trou de ver et au trou noir. Cela faisait une éternité qu’un film de science fiction n’avait pas offert des images inédites et sidérantes que l’on n’avait jamais vu jusque là. Ce spectacle si stupéfiant et si beau, ainsi que la première traversée du trou de ver qui fait apparaître d’étranges phénomènes dans l’Endurance, sont sans aucun doute les scènes les plus incroyables et les plus mémorables que j’aurais vu cette année au cinéma ! Un spécialiste s’est d’ailleurs exprimé à ce sujet concernant le trou noir :


« L’élément le plus réaliste du film, c’est le trou noir. Sa modélisation est tellement aboutie que l’astrophysicien Kip Thorne va s’en servir pour un article ultérieur. Je n’en ai certes jamais vu, de trou noir, mais au regard de ce que l’on sait, cette simulation est bluffante. Notamment tout ce qui se passe autour du trou noir : le disque d’accrétion en rotation rapide, c’est-à-dire la matière en orbite attirée par le trou noir. » (2)


La partition du compositeur Hans Zimmer est elle aussi d’une étonnante modération par rapport à ce qu’il avait produit ces dernières années. Lui qui avait tendance à mettre de la musique sur quatre vingt pour cent de la bobine en donnant trop souvent dans des surenchères tonitruantes à la limite du supportable, a décidé de laisser les grosses orchestrations au placard au profit d’un minimalisme très lyrique. Il a concocté une bande originale lancinante et atmosphérique très inspirée (j’ai un peu pensé au Brian Eno des années 70) et de grande qualité, comme il avait l’habitude d’en faire par le passé et qui avait contribué à sa renommée dans les années 90 et au début des années 2000 (Le roi lion, USS Alabama, Volte face, La ligne rouge, Gladiator, etc). Elle s’écoule naturellement et résonne avec une douceur miraculeuse sur les images, tel un beau et paisible ruisseau traversant une vallée verdoyante dans une campagne idyllique.


Concernant les acteurs, Matthew McConaughey incarne un émouvant père de famille et un crédible pilote de la NASA avec un jeu fin et intimiste, mettant en sourdine ses afféteries habituelles afin de moins théâtraliser ses expressions de visages et ses postures physiques. Comme Hans Zimmer, il choisira l’épure et la simplicité pour véhiculer des émotions universelles et ajoute ainsi une nouvelle corde à son ar(t)c depuis sa reconnaissance avec Killer Joe (2011) de William Friedkin. A Hollywood, cet acteur texan est définitivement la plus grosse révélation de ces cinq dernières années ! Je ne m’étendrais pas sur Jessica Chastain dans des superlatifs élogieux car, comme à son habitude, je la trouve parfaite et tant pis si elle n’apparaît pas tant que ça à l’écran. Quant à Anne Hathaway, elle est très bien en Anne Hathaway …


Finalement et avec le recul, la scène la plus émouvante est certainement la plus simple. Quand Cooper revient de la première planète visitée et que s’est écoulé vingt trois ans, il visionne ses messages vidéos et tombe sur ceux de sa fille qui a donc pris vingt trois années en quelques heures. Avec un simple champ/contrechamp, Nolan prouve qu’il sait utiliser à bon escient l’outil cinématographique sans faire appel à des procédés techniques sophistiqués pour faire naître une véritable émotion. J’ai encore en mémoire ce plan ou Cooper découvre pour la première fois, sur l’écran de son vaisseau, le visage blême et impassible de sa fille devenue femme qui a du mal à feindre une tristesse profonde et une colère enfouie envers son père qui l’a abandonné sur terre.


Cette scène d’une grande pureté m’a un peu réconcilié avec son cinéma et tant pis si, en soit, Interstellar n’a pas de prétention autre que d’être avant tout un blockbuster hollywoodien intelligent et émouvant, à défaut d’être une oeuvre profonde et métaphysique. Car Christopher Nolan raconte d’abord et surtout une histoire entre un père et sa fille avec, certes, une sincérité et un élan que je ne lui connaissais pas. S’il a de réelles capacités à nous sidérer dans des fulgurances malheureusement éphémères qui ne comblent pas un manque cruel de réels enjeux dramatiques et métaphysiques pour faire d’Interstellar une oeuvre culte, ses intentions en font une belle expérience cinématographique ou l’émotion est en tout cas intègre.


(1) – Biographie sur wikipedia


(2) – Interstellar vu par un astrophysicien : http://www.telerama.fr/cinema/bluffant-et-chimerique-interstellar-vu-par-un-astrophysicien,118998.php

Mathieu_Babhop
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le 18 août 2016

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