Et si Christopher Nolan était bien le cinéaste de l'héroïsme? Tous les films du réalisateur britannique semblent guidés par un même besoin de redéfinir cette notion. L'éprouver, la flouter, la mettre en perspective d'une réalité ou de l'illusion auquel(le) elle entend se rattacher. Que Nolan filme un veuf en quête de vengeance, un policier rongé par l'erreur, un extracteur rongé lui par les remords, ou un surhomme déguisé en chauve-souris pour combattre le crime, ce moteur semble bel et bien présent au travers de sa filmographie. En contant la victoire intime d'un homme sur ses démons ou l'accomplissement quasi-mythique d'un être chimérique, le metteur en scène (déjà culte) des chefs-d'œuvre The Dark Knight ou Inception a su lui aussi s'imposer comme un vrai démiurge au sein d'une industrie souvent décriée.
En l'espace de deux films au succès planétaire, critique comme public, qui n'efface pas non plus les bijoux plus modestes (Memento, Le Prestige), Christopher Nolan a mis le monde à genoux. Des Blockbusters d'auteur, c'est finalement possible. Bien sûr, c'était déjà le cas avant. Mais tournés à cette échelle et reçu avec une telle affection, pour trouver un précédent, il faut remonter à Spielberg. Ce n'est donc pas par hasard si les deux hommes ont associé leurs efforts pour Interstellar. Longtemps sous l'égide de Spielberg (aujourd'hui co-producteur), le script de Jonathan Nolan (basé sur les travaux de l'astrophysicien Kip Thorne) est passé entre les mains du frère ainé. Fasciné par la possibilité de faire un film dans (et sur) l'espace, le réalisateur voit en ce nouveau film la possibilité de se dépasser. Convoquant Malick, Tarkovski et Kubrick (évidemment), les premières images de cette odyssée spatiale ont mis la barre encore plus haut.
La mission de ces explorateurs, envoyés aux confins de l'espace traverser un trou noir pour trouver une nouvelle planète, afin d'y abriter les derniers résidents d'une Terre qui se meurt, demeurait la plus belle promesse de l'année.
L' "Inception spatiale", "le 2001 de Nolan"? Évidemment, ce sont ces premières questions qui se sont posées. Pourtant, même si Interstellar partage avec le premier ce lien avec le personnel, et cette multiplicité quant à ses interprétations avec le second, le nouveau film de Christopher Nolan se démarque grandement de ces œuvres.
Ce qui ne l'empêche pas de réussir ces deux points. L'émotion n'était pas la chose la plus présente dans les Nolan, elle est pourtant ici le ciment de cette épopée stellaire, mêlant l'infiniment grand et l'infiniment petit. Car au travers du destin de Cooper, ingénieur s'étant converti à l'agriculture, père veuf et très proches de ses deux enfants (sa relation, avec Murphy, la cadette, quasi-fusionnelle), le metteur en scène transcende ses limites en offrant une poignante histoire d'amour et de courage qui risque d'en surprendre plus d'un.
La présence de Matthew McConaughey (Cooper), qui n'en finit pas de briller, y est pour beaucoup. L'acteur, dont l'aura ne cesse de croître, est absolument terrassant de maitrise. Anne Hathaway, d'une justesse incroyable, compose un personnage également emprunt d'un magnétisme impressionnant. Il y a aussi Jessica Chastain, qui illumine elle de force et de vie. Puis une troupe de seconds-rôles très inspirés (Michael Caine, Mackenzie Foy, John Lithgow, Casey Affleck), qui apportent chacun une nouvelle dimension au film. Et de ça, le film ne manque pas. Son excellent scénario conjugue avec brio métaphysique, philosophie et divertissement de (très) haute volée. Plus contemplatif que par le passé, Nolan fait d'Interstellar une incroyable histoire cosmique pourtant centrée sur rien de moins que l'humanité.
Alors, certes, il est parfois maladroit (l'explication de chose aussi abstraite que l'amour), mais ce nouvel opus atteindra tout de même le titre de classique.
Pour son spectacle mené tambour battant (et pourtant il dure 2h49), pour la richesse de son univers (qui alimentera les débats pendant longtemps), pour sa musique somptueuse (Hans Zimmer au sommet de son art).
Christopher Nolan parvient à se renouveler (une nouvelle fois), tout en conservant les meilleurs aspects de ses précédents longs-métrages (les montages parallèles (magnifiques), un réalisme cette fois-ci poétique), et ajoute encore plus de prestige à un C.V déjà si fourni.
La qualité formelle et l'audace dont fait preuve Nolan (la dernière partie du film, osée) renforce d'autant plus le sentiment qu'il fera partie des incontournables pendant encore longtemps. Un héros, ce Christopher Nolan? Oui, probablement.

ConFuCkamuS
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le 25 juil. 2019

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