I'm ready to start the conquest of spaces, expanding between you and me
Il y a quelque chose de profondément louable dans le cinéma de Nolan : son ambition. II veut faire du grand cinéma : démesuré, total, fou, grandiloquent parfois. Et tout est dans cette lignée : musique tonitruante de Hans Zimmer, casting composé de très grandes stars hollywoodiennes (Matthew impeccable comme toujours, Anne Hathaway parfaite, Jessica Chastain, Matt Damon and co), effets spéciaux démentiels, scénario complexe et intelligent. Certains ont trouvé que Nolan s'était perdu dans son ambition, qu'il en avait trop fait, jusqu'à verser dans le ridicule et dans le grand n'importe quoi.
Connaissez vous le concept de Coleridge nommé "suspension of disbelief" ? Il s'agit de croire, d'être "crédule" face à toute oeuvre de fiction. Mettre de côté ses doutes, son scepticisme. Arrêter de dire "mais c'est invraisemblable, c'est n'importe quoi". On s'en contrefiche, que Nolan en fasse parfois trop. On s'en fout, qu'il y ait des incohérences, des erreurs scientifiques, des passages très alambiqués (comme la fin). Ce film est une putain d'expérience de cinéma (excusez ma vulgarité). Pendant 2H50, on est totalement emportés par cette histoire, par ces personnages si émouvants. Les gros plans sur leurs visages et les nombreuses scènes dans le vaisseau instaurent une grande proximité avec eux. Il y a une grandeur dans Interstellar qui ne permet pas de le ranger au rang de "film". C'est une expérience.
(SPOILERS)
C'est probablement l'oeuvre la plus touchante de Nolan. Peut-être même son oeuvre la plus personnelle. Avant Interstellar, son cinéma était plutôt froid. Certes, il y a toujours eu des thèmes émouvants dans ses films, comme l'amour, la perte des êtres chers, la mort... Mais ici, Nolan assume enfin ses thèmes fétiches, ses obsessions même. Pour la première fois, ses personnages expriment véritablement leurs sentiments. C'est un peu niais, parfois. Comme cette phrase complètement cucul que dit le personnage de Matthew à sa fille : "les parents deviennent des fantômes du passé pour leurs enfants" (????). Ou quelque chose de ce genre. Mais l'ensemble du film est particulièrement émouvant: j'ai versé des litres de larmes lorsque Cooper regarde les vidéos laissées par ses enfants. La scène est toute simple, pourtant. Mais grâce aux interprétations des acteurs, à la justesse des sentiments décrits, cela marche parfaitement. La scène de la bibliothèque est bouleversante également. C'est magnifique, techniquement incroyable, terriblement émouvant et angoissant à la fois. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un film aussi beau sur le passage du temps.
(FIN DES SPOILERS)
Ce qui est étonnant dans Interstellar, c'est ce refus de faire un blockbuster américain de base, simpliste, aux rebondissements incessants. Rien à voir avec le complètement débile Gravity. Nolan prend son temps : il y a finalement assez peu de péripéties. Certaines scènes peuvent d'ailleurs sembler un peu longues, tant les conversations entre astronautes s'éternisent et abondent en termes scientifiques totalement incompréhensibles (le défaut principal du film, à mes yeux). En tout cas, il ne s'adonne jamais à la simplification. Il demande beaucoup de son spectateur : qu'il se laisse totalement emporter par l'histoire, qu'il soit très attentif aux différents éléments scientifiques et qu'il accepte cette fin qui peut sembler assez invraisemblable au premier abord. L'ensemble n'est finalement pas si hollywoodien que ça : les acteurs ne sont pas dans la "performance", les décors ne font pas image de synthèse, l'histoire et la fin sont loin d'être convenues.
Certains verront des références à 2001. D'autres diront qu'à côté de ce chef d'oeuvre, Interstellar ne vaut rien. Il est vain de faire une hiérarchie entre Kubrick et Nolan. Vain de mettre Kubrick tout en haut, de le considérer comme un Dieu du cinéma, intouchable et sacré tout en disant que Nolan n'est qu'un plouc qui ne lui arrive même pas à la cheville. Ce n'est pas parce qu'on est un cinéaste plus populaire, à la portée d'un large public qu'on est forcément en dessous du "maître". Il y a quand même une large part de snobisme dans le Nolan-bashing...Descendez un peu Kubrick de son piédestal et osez dire que Nolan est quand même un de nos meilleurs cinéastes actuels !
Le film abonde en références intéressantes, comme ce superbe poème de Dylan Thomas "do not go gentle into that good night" : un poème de rébellion face à la mort. Particulièrement adapté ici. On peut aussi voir des références historiques assez intéressantes : ce monde en déclin ne serait-il pas très proche de la situation de l'Amérique durant la Grande dépression ? Le "dustbowl", les photos de Dorothea Lange, la famine... Nolan s'inspire manifestement de cet événement capital de l'histoire des USA. De plus, tout son film est imprégné d'une valeur typiquement américaine : l'individualisme. Cooper, chargé de sauver l'espèce humaine, ne pense finalement qu'à une chose: protéger SA famille, la sauver.
Allez voir Interstellar : c'est une réussite visuelle et intellectuelle (oh, le gros mot, j'ose associer Nolan et "intellectuel"!), un film qui ne vous lâchera pas une fois que vous l'aurez vu. Long live Nolan !