"Interstellar" est une recette pleine d'ingrédients piochés au fil du temps par un cinéaste avant-tout cinéphile. Christopher Nolan est un grand adepte des films de science fiction. Son neuvième long-métrage est en quelque sorte la concrétisation d'un rêve pour lui. Le résultat de cet alliage est une épopée fascinante de bout en bout. Un récit épique porté par une mise en scène sensationnelle et un casting éclatant.

Avant de décoller, "Interstellar" laisse pousser délicatement les racines d'un arbre de vie. Très inspiré par Terrence Malick on retrouve un portrait de l'être humain aussi contemplatif que Tree of Life. On est à nouveau plongés dans une photographie somptueuse.
Le récit (dé)montre une humanité en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. La terre est submergée de poussière, le mode de survie sur cette planète y est arriéré. Heureusement ce postulat de départ n'est pas creusé jusqu'à plus fond. Bon choix tant le sujet est ressassé. Le scénario est d'avantage intéressant dans la recherche d'un nouveau départ et le portrait d'une famille ordinaire.
Le film s'implante à travers un arbre généalogique. Les pieds sur terre, les Cooper bravent les tempêtes d'une planète remuée, mais aussi de ses propres tourments. Une famille bien représentative de ce qu'a perdu l'être humain dans l'anticipation imaginée par les frères Nolan. Ancien héros devenu père dévoué, reclus et solitaire, le personnage de Matthew McConaughey aurait pu être rasoir. Au contraire le rôle nous fait suivre ce parcours initiatique avec richesse. La vision de la famille proposée par Terrence Malick était plutôt brutale. Contrairement à "Tree of Life", "Interstellar" présente des personnes plus raisonnables et ordinaires, mais néanmoins dans la tourmente. On ressent les peines et les inquiétudes que vivent "Coop" et ses enfants. La perte de la mère est traitée avec pudeur mais sensations. Cela suscite des relations très touchantes.
Tom et Murphy sont des enfants naturellement très équilibrés, et même extrêmement perspicaces. Pourtant ils ne s'insèrent pas "comme il faut" dans la société, et le système scolaire en particuliers. La complicité père/fils est touchante, mais le plus émouvant réside dans les échanges entre Murphy et son papa. La jeune Mackenzie Foy est saisissante, elle donne plein d'intelligence à son rôle. L'amour qu'elle voue à son père est très attendrissant. Il y a une vraie détresse dans son appel à rester. Avec le départ c'est, très loin des yeux et encore plus près du cœur. C'est une relation charnière qui traverse le film sans jamais s'égarer. Jessica Chastain prend brillamment le relaie. L'attachant attachement entre Murphy et son père est peut-être même l'essence du film. Tout au long de ce voyage, cette relation à quelque chose de bouleversant.
Autour gravitent des personnages qui secondent, mais au rôle pas si secondaire. Beaucoup de présences surprenantes. John Lithgow interprète avec justesse un patriarche désabusé qui subsiste auprès de son gendre et ses petits enfants. Une présence plutôt fantomatique mais dévouée. L'interprète du mémorable Trinity dans Dexter est plaisant à voir dans se rôle de Donald, une incarnation intéressante de la sagesse qui pallie l’absence maternelle. En cela, le veuf et son beau-père forment un duo qui se complète. Le fils Cooper est d'un intérêt plutôt moindre dans le récit, n'en déplaise à Casey Aflleck qui n'est pas mauvais. La fidélité que porte Nolan à Michael Caine est sympathique, mais un peu éculée. Le professeur Brand a toute sa place dans l'intrigue, mais le sentiment de déjà-vu est regrettable. Sa fille est d'une grande ingéniosité, Anne Hatahaway lui donne aussi une belle touche de simplicité. Il y a une grande dévotion dans l'équipe d’exploration, en particulier dans l'attente de Romily (David Gyasi), persévérance marquante. Enfin, notons la surprise Matt Damon. Sa présence au casting n'étais pas franchement ressassée, sa performance en est d'autant plus une bonne surprise.
Dans un esprit proche de Malick, Nolan nous donne à contempler l'humanité à travers un tas de questions métaphysiques. L'utilisation de la musique pour souligner les belles paroles pleines d'émotions est semblable à "Tree of Life". C'est assez superbe, dans les deux films. "Interstellar" est tout de même moins obscur que "Tree of Life", voir trop simpliste, et possède quelques approches plus singulières.

La considération de la Loi de Murphy est atypique et très intéressante. Ses évocations récurrentes accentuent le côté résigné du contexte, contre lequel avance "Coop". C'est précisément là que le personnage de Matthew McConaughey est plaisant. Il commence par donner une vision optimiste de cette Loi de Murphy. Ce qui est intéressant car ses espérances sont différentes de celles du professeur Brand, qui sont elles même différentes de celles de sa fille. Chaque personnages apporte une réponse distincte aux vastes questions existentielles. On peut se focaliser sur trois protagonistes principaux.
Le bon vieux Brand veux préserver l'humanité, dans un sens inattendu du terme. Sa fille prône le pouvoir de l'amour, c'est la part un peu pompeuse du film. Le récit ne s'attarde pas trop sur les romances du personnage d'Hathaway, c'est même balayé par un revers audacieux donné par "Coop". Qui, lui, cherche à sauvegarder la mémoire d'Homme et ses valeurs. Un parcours initiatique qui vise à assurer et assumer celui déjà tracé par l'être humain sur terre. Une confrontation de visions exhaustive qui remet en question nos méfaits et nos bontés. Les dégâts terrestres causés par l'être humain ne sont pas dilués, néanmoins il y a une vrai étoffe des héros chez ces aventuriers des temps modernes.

Le film apporte aussi du cynisme à ce portrait éprouvant. Dans un esprit différent du "Hal" de Kubrick, les robots donnent de la hauteur dans leur opposition aux terriens. Le jeu de dosage de la personnalité est amusant. Le fantasme de la maîtrise du caractère est tourné à la dérision. L'inspiration venant de "2001, l'odyssée de l'espace" est immense. Le film de Nolan évolue sur la même base.
Les communications par messages dans "Interstellar" sont proches de celle par visiophone au début de "2001...". On peut comparer l'utilisation de l'épidémie, sujet d’inquiétude majeur à l'époque, à celle des catastrophes naturelles en chaîne, sujet d’inquiétude majeur de notre temps. L'utilisation de l'espace est tout aussi juste et fabuleux. Le final visuellement psychédélique de "2001..." est aussi reprit par Nolan, avec réussite. L’œuvre de Kubrick a le mérite d'être innovante et probablement supérieur d'un point de vue sensations. Cela-dit "Interstellar" a quelque chose d'aussi hallucinant dans l'expansion de l'univers qu'il propose. C'est peut-être le premier à répondre au plus près de ce film mystique et culte de Kubrick. Il s'agit autant d'une quête existentielle fascinante aux aspects d'opéra spatial. Il y a une certaine grâce qui émane de "Interstellar". La mise en musique des tourbillons de la station qui tourne en orbite est magnifique et renvoi complètement à l’œuvre de Kubrick. Une scène de ballet aérien admirablement orchestrée. Chose déjà bien reprise par Alfonso Cuaron l'an passé.

Nolan ne le cite jamais parmi les influences de ce film, à juste titre vue la proximité des sorties, mais des points communs sont évidents entre "Gravity" et "Interstellar". Ce n'est clairement pas une inspiration, mais une concordance. On retrouve les mêmes éléments qui font de ces films d'angoissantes odyssées spatiales. Dans une volonté semblable d'y mettre du réalisme, le travail sur le son est aussi extraordinaire. Succession de bruits assourdissants et de silences assommants. Le voyage est aussi sonore et c'est transportant, en plus d'une musique omniprésente et très efficace. "Gravity" se focalisait essentiellement sur l'isolement profond, le courage et la persévérance. Dans un champ de doutes bien plus vaste, "Interstellar" ne s'élève pas à la parfaite simplicité des personnages du scénario des Cuaron (encore un film en famille). Le manque de sobriété dans l'intrigue et les effets ne sont pas pour autant à regretter dans le film de Nolan. C'est ce qui fait leurs différentes forces. Le rythme non plus n'est pas du tout le même. "Gravity" passait de moments de latence à des scènes de grande intensité et ce sur à peine 1h30, "Interstellar" dure près du double de temps sur une allure constamment crispante. La tension ne se relâche pas, ce qui fait que le film n'est jamais ennuyeux malgré sa longueur. Si l'angoisse mémorable donnée par Sandra Bullock n'est pas autant de la partie au sein de la nouvelle équipe d'astronautes, le spectateur la ressent tout autant. La mise en exergue du vide et de l'immensité est effrayant, à l'instar de l’œuvre de Cuaron, mais aussi de "Abyss".

Christopher Nolan va vers une infinie, et au-delà, proche de celle tracée par James Cameron en 1989. A l'époque, "Abyss" creusait déjà la faille de la distance. Ici c'est creusé encore plus profond. L'espacement a un enjeu et repousse les limites de l'infinité et de l'impossible. Après l'abyssal et le stellaire, voici le galactique. Cette distance est encore plus frappante après avoir installé un lien de filiation très fort, brisé donc. Y a quelque chose d'irréversible dans cette excursion qui accentue aussi l'angoisse. On a de la peine à voir le voyage prendre des trajectoires complètement déviantes. Avec une fatalité dans le cheminement qui-plus-est. Le communication a extrême distance est encore très importante. L'isolement du groupe d'explorateurs est accru par le sens unique du contact. Les séquences émotions sont plutôt très honnêtes. S'ajoute à la barrière de la distance physique, celle de l'espace temps. Tous s'y retrouvent suspendus par un subterfuge scénaristique fascinant. C'est un énième outil qui fait sensation sur la corde de l'effroi.

Il ne s'agit donc pas uniquement d'un voyage stellaire, mais aussi temporel. Le scénario est très axé sur cette question du voyage dans le temps. Comme à leur habitude, les frères Nolan nous amènent dans un récit très construit qui s'avère d'une logique implacable dans sa conclusion. Ce qui donne néanmoins une fin assez bluffante. D'une grande puissance imaginaire. Cela démarque les traces soufflées au départ, et aiguille ce qui était montré. C'est encore très intelligemment ficelé.
Depuis Batman Begins, le score très grave d'Hans Zimmer est aussi une marque de fabrique des films de Christopher Nolan. La patte très lourde du compositeur peut être fatigante. C'est au contraire une très grande réussite avec "Interstellar" dans la façon d'alimenter la tension, ce qui était pas mal le cas de "Inception". Ce thème musical porte aussi les moments de tendresse, ce qui est plus surprenant.

Christopher Nolan continue d'explorer les différentes formes de film. Le chemin parcouru depuis "Following"est incroyable. "Interstellar" est en quelque sorte un aboutissement. Le rêve d'un passionné de cinéma de science-fiction, celui de s'inscrire dans la lignée de ceux qui l'ont fasciné. Dans sa forme science-fiction, le film s'apparente clairement à Star Wars. La fidélité que porte Nolan au cinéma argentique est rare et belle. Elle se ressent aussi dans la qualité de mise en scène. La photographie est d'une beauté pure. Un vrai travail d'authenticité, jusqu'aux planètes les plus éloignées, comme c'était le cas pour Tatooine ou North dans la prélogie Star Wars. "Interstellar" s’appuie sur des décors naturels pour créer des mondes inoubliables. Quoiqu'on ne reste jamais assez longtemps sur ces planètes pour qu'on s'y installe durablement. Des vagues parfaitement flippantes, un froid glacial et une vallée désertique. Edmunds, Miller et Mann ont chacun mis le pied sur de terribles planètes. Les effets-spéciaux sont spectaculaires et se fondent très bien à l'imagerie brute. On se laisse aussi très bien embarquer dans les vaisseaux. La pleine maîtrise du Fantastique nous plonge en dehors de toutes pensées rationnelles. Pas de place pour chercher des incohérences ou des aberrations scientifiques. C'est particulièrement vrai sur la fin.

[SPOILER]Ce qui pourrait facilement être perçue comme une dérive vaniteuse est en faite une mise en abyme de la théorie de la relativité. "Interstellar" ne prend pas toute sa dimension dans son épilogue, mais toutes SES dimensions. La bibliothèque prolonge le trait discontinu et imaginaire d'une destinée humaine. Une scène qui livre la parallèle pluridimensionnelle d'un univers qui n'a que l'imagination pour seule limite. Autant dire que celle des Nolan est sacrément généreuse. Le rendu visuel est carrément captivant et son sens est passionnant. La conclusion d'une œuvre à l'essence métaphysique. Pour reprendre la comparaison, la bibliothèque devient en quelque sorte le monolithe de "2001...".
L'épilogue définitif qui suit est beaucoup plus léger. Le moment d'émotion entre "Coop" et sa fille, devenue vieille, est beau. En revanche le reste du post-bibliothèque est très vain. Comme l'obligation de terminer sur une touche d'optimisme après le franc cynisme dont le film ne nous a pas épargner, avec le personnage de Matt Damon entre autres.[/SPOILER]

On peut regretter un certain patriotisme dans cette anticipation. Les Etats-Unis semblent encore seul au monde. "Coop" est très proche des figures héroïques américaines. Le film mériterait de s'ouvrir sur le potentiel de tous ses personnages, et sur le monde. Passons, il s'agit certes d'une publicité pour la NASA, rien de scandaleux non plus.

"Interstellar" est un film de science-fiction prodigieux, mais avant tout un parcours initiatique fascinant. Vision visionnaire et inspirée à la fois des questions existentielle portées par l'Homme. Une œuvre aussi brusque que délicate. Il en ressort une grande maîtrise de la mise en scène. La photographie, le son et même le bande-original d'Hans Zimmer se marient très bien à travers le montage qui est plus qu'efficace. Il en ressort aussi un casting impeccable. Le duo Matthew McConaughey-Mackenzie Foy fait des étincelles. "Interstellar" est une longue épopée humaine passionnante tout au long des presque trois heures grâce à une réalisation spectaculaire, une intrigue très élaborée et des acteurs touchants.

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le 8 nov. 2014

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Adam Kesher

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