La parfaite histoire d’un scénario imparfait (attention chérie, ça va spoiler !)

Christopher Nolan fait partie de ce cercle très fermé de créateurs respectés, au même titre qu’un Tim Burton l’est par exemple (même si ce dernier est moins "hype" depuis quelques temps). Et à juste titre, puisqu’il s’agit d’auteurs avec un véritable savoir-faire qui leurs sont propres. Mais Nolan - comme Burton - est aussi de ceux qui comptent dans leurs rangs de fiévreux-fervents défenseurs, prêts à porter au bûcher quiconque oserait ne serait-ce que prononcer un mot négatif à l’égard de celui qu’ils considèrent comme un être quasi divin. Avant même la sortie des films, on hurle déjà au futur chef-d’œuvre absolu, on entend çà et là se demander si dans l’avenir il sera encore possible de faire des films après ÇA… Que le monde se rassure : on y parviendra sûrement. De l’autre côté, on verra une caste rivale, celle des "haters", qui va tenter de négativiser tout ce qui pourra venir de Nolan afin de le discréditer. Et dans ce marasme de mauvaise foi (tant d’un côté que de l’autre), il devient difficile de se faire entendre. Aussi tentons d’être légèrement plus mesuré :
Interstellar est un film de science-fiction. Ce qui signifie donc, s’il s’appuie sur des théories scientifiques, qu’il s’agit avant tout d’une fable. Je sais qu’on frise l’évidence ici mais compte tenu de certains commentaires qu’il m’ait été donné de voir, il est bon de le rappeler. Je ne crois pas au requin des Dents De La Mer parce qu’il est réaliste, mais parce que l’histoire qui m’est racontée fait appel à mon ressenti dans une situation qui contient suffisamment d’éléments auxquels je peux m’identifier pour être en mesure de me projeter à la place des personnages. Au point que je peux finir par oublier que je regarde un film et simplement y croire un moment.
En cela, Interstellar est un film qui contient une bonne dramaturgie, efficace, alternant périodiquement entre action, émotion et introspection. La réalisation est de bonne facture et le jeu de Matthew McConaughey, bien qu’encore trop empreint de sa sublime performance dans True Detective, reste de qualité. Pourtant, le film comporte une imperfection non-négligeable, qui réside pourtant dans le plus grand talent de Christopher Nolan :
L’écriture.
Car s’il s’agit donc d’une fable et qu’il convient de nous faire accepter des erreurs scientifiques, il n’en reste pas moins qu’une histoire contenant des éléments dispensables ou mal placés fera rejeter à une partie du public l’identification et nuira à la réussite du film. Spécifiquement sur une histoire à rebondissements, ou tout à une fonction et/ou un sens symbolique. Alors en quoi l’écriture est-elle régulièrement approximative ?
- Plusieurs scènes sont tout à fait enlevables au montage : Au début du film, la scène du drone n’a pour fonction que de générer l’aventure et de montrer un côté pionnier du personnage principal (ce qu’il est possible de faire d’autres façons). Mais cette séquence en tant que tel n’apporte strictement rien au développement de l’histoire, aux relations entre les personnages ou même à l'univers (on trouve vaguement une idée que la science est laissée pour compte, mais c'est tout). Il y a également d’autres scènes qui en souffrent, mais nous y reviendrons un peu plus tard.
- Des idées sont esquissées, mais n’aboutissent pas : lors d’un dialogue parent-enseignant, on y apprend que le monde est devenu obscurantiste, reniant la conquête spatiale et préférant le pragmatisme primaire à la découverte. C’est une thématique fort intéressante, qu’il aurait été judicieux de creuser : imaginons par exemple qu’au fil du film, la peur et la bêtise humaine finissent par mener à ce que des gens tentent de s’en prendre physiquement aux scientifiques, les blâmant pour ce qui arrive, les prenant à partie. Au point qu’à la fin, les enfants du héros eux-mêmes s’entre-déchireraient véritablement, le frère Tom empêchant violemment sa sœur Murph de déchiffrer le message de son père et ainsi de sauver l’humanité. Tom, qui par ailleurs disparait au fil du film sans que personne ne s’en préoccupe (pas même son père, qui préfère aller se boire une bière sur le pas de sa porte tranquillement à la fin), quand il trouverait ainsi une utilité bien plus remarquable. Alors que tel qu’il est, Tom est parfaitement dispensable à Interstellar.
- Certains personnages sont des pots de fleurs (nourrir le bien par le mâle) : les personnages à Hollywood sont trop souvent traités avec un sexisme/racisme ordinaire consternant. Et hélas, bien que pétri de bonnes intentions, Interstellar n’y échappe pas : Murph la fille ne réussit pas par son talent ou par un indice laissé, mais parce que son père, Cooper, lui envoie tout le travail mâché. Le seul talent de Murph aura été de le voir et d’y croire. Le personnage d’Anne Hathaway, Brand, agit constamment à l’émotion pendant que Cooper lui, agit avec rationalité. Et en situation extrême elle tombe inconsciente pendant que le fier héros, lui, résiste et les sauve. Elle ne joue d’ailleurs qu’un rôle de reproductrice, elle qui détient les germes de la vie de par son savoir scientifique. Même si cela convient aux thématiques du film, il n’en reste pas moins que ces éléments-là auraient pu faire preuve d’un peu plus de mesure dans la force entre les sexes. Car le personnage de Brand est un véritable pot de fleur. De la même manière que le scientifique noir - qui il est dommage n’est pas rigolo sans quoi on aurait pu le rajouter aux clichés ancestraux – est un personnage inutile. En fait, tous les personnages de l’expédition sont ôtables, sinon celui de Matt Damon, le Dr Mann, qui est une version "côté obscur" de Cooper.
- Le retour des scènes dispensables (elles reviennent et elles sont vraiment pas contentes) : L’histoire est principalement centrée sur son personnage principal. Toutefois, on découvre que le véritable héros est en fait Murph, une héroïne. Pourtant, elle ne prend pas le relais pour autant, à aucun moment. Sa fonction est tout le long du film d’être dans l’attente d’un message, ce qui est relativement contradictoire avec le discours de fond du film, qui dit que nos enfants nous dépassent et sont capables de choses que nous ne saurons jamais faire. De plus, Cooper est lui un pionnier, un aventurier qui ne regarde pas en arrière mais vers l’avenir. Alors en ce cas qu’apporte la séquence dans la 1ère planète-océan ? Le côté pionnier, certes, mais encore ? La mort d’un personnage inutile, certes, mais c’est insuffisant. L’échec et la perte de temps, certes, mais la pression sur le temps est un élément qui disparait après cette séquence, alors qu’il générait une tension intéressante et un questionnement fondamental, à savoir : Cooper va-t-il revenir à temps pour voir sa fille en vie ? Et… c’est tout. En fin de compte, cette séquence est entièrement enlevable sans qu’elle nuise. Et il en serait de même pour la planète de glace, si le personnage du lâche Dr Mann n’intervenait pas.
Aussi le film est certes de bonne qualité et reste un bon divertissement, mais il manque de plusieurs éléments. Il existe une multitude de formules pour écrire un film, mais pour une "intrigue à tiroirs", qui joue sur ses niveaux de lecture et ses rebondissements, tout doit être imbriqué. Aussi si tout était parfait dans Interstellar, il serait impossible d’enlever une scène sans nuire à la progression de l’histoire, à la structure de l’univers ou au développement des personnages. Or les exemples cités n’apportent que peu ou prou de cela. Aussi, si je pense que Christopher Nolan est un scénariste de qualité, je constate que depuis quelques films, nombre des scènes qu’il créé sont sujettes à controverse, sont écrites de façon un peu suffisantes et approximatives là ou un Memento par exemple peut se lire dans tous les sens sans qu'il soit permis de tiquer. Alors certes, le film reste très agréable, le niveau global est appréciable mais on est aussi en droit d’attendre, de la part d’un créateur aussi respectable et respecté, qu’il ne soit pas approximatif. À titre de comparatif, les films de Kubrick sont toujours extrêmement précis, dépouillés de tout ce qui n’a pas sa place et la structure même de l’univers repose sur chacun des éléments au point qu’il devient vite délicat d’en enlever un seul. Et j’en profite d’ailleurs pour préciser que si Nolan fait en effet quelques clins d’œil à 2001, le comparer avec Interstellar me parait aussi pertinent que de le comparer à la Soupe Au Choux. Il aurait été bien plus judicieux de faire le parallèle avec un autre film dans lequel on retrouve beaucoup de mécaniques et de contextes, à savoir Signes de M. Night Shyamalan (je vous laisse réfléchir dessus, mais il y a pas mal de points communs).
Un petit mot sur la musique également : Je sais que comme Nolan, Hans Zimmer est incriticable par ceux qui l'érigent en génie contemporain. J'éviterais de le torpiller ici pour de très nombreuses raisons qui dépassent le film. Tout ce que je peux dire, c'est que la musique comporte quelques très bonnes idées de thèmes (en particulier celle de la planète-océan, qui utilise un bruit d'horloge quand le temps est très important), mais qu'une fois de plus elle dévore régulièrement tout. Au point parfois de prendre le pas sur les dialogues et de se répéter ad nauséam (j'ai son thème à l'orgue depuis 24h en tête). Et qu'en plus de cela, Zimmer s'est très largement inspiré de la musique de Philip Glass. Et comme toujours, Zimmer oublie de préciser que ce n'est pas seulement son travail et son génie personnel, mais celui d'environ une dizaine de compositeurs non-crédités ou presque, et qu'ici donc il doit l'originalité de sa musique à un Philip Glass dont il ne parle pas.
Enfin, d’un point de vue global, je terminerais en disant qu’Interstellar souffre aussi de la volonté Hollywoodienne obligatoire du happy-end (et il aurait pu ici en être autrement), et de l’explication rationnelle de tout ce qu’on trouve : Il est intriguant de fantasmer sur ce qui se cache derrière le trou noir et de se demander pourquoi Cooper est aidé. Chacun y verra alors ce qu’il veut : Dieu, des gens du futur, des extra-terrestres, … Or Cooper nous gratifie d’une réplique incompréhensible pour les novices à base d’un truc sur les bulks et les quatrons (ou je ne sais quoi d’autre) pour nous expliquer les 5 dimensions afin de justifier tout le déroulement final, ce qui en aura fait ricaner plusieurs pendant une séquence supposément dramatique. Pour reprendre mon exemple des Dents De La Mer, verriez-vous le héros en train d’expliquer la dynamique de l’eau sur la peau du requin pour expliquer le fait qu’il ait pu monter sur un bateau et dévorer son propriétaire, à l’approche du climax final ? Non. Parce qu’à ce moment-là, ce qui compte, c’est justement la dramaturgie. Steven Spielberg, lors d’une discussion avec ses assistants, voyait l’un d’eux lui dire :
"Mais au moment où le requin va sortir de l’eau, ça ne va pas marcher ! Les gens vont voir le côté mécanique de notre pauvre requin !"
Et Spielberg de répondre :
"Non. À ce moment-là, ils ne verront rien. Parce que si je réussis mon film, à ce moment-là, ils auront peur du requin et ne verront que ça."
Aussi Monsieur Nolan, vous avez certes du talent, mais prenez-en de la graine. On apprend à tout âge, après tout.
Paul-Atreides
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le 11 nov. 2014

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Paul Atreides

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