A travers les cieux, l'espace et le temps, un vaisseau s'en vient ... (Nolan revient)

« Interstellar » est le nouveau film événement de Christopher Nolan, entre autres le réalisateur à la fois adulé et contesté de « Inception » et de la nouvelle trilogie Batman. Adulé pour ses univers visuels fascinants, contesté pour ses scripts prometteurs qui se finissent généralement en queue de poisson. A peine sorti dans les salles, « Interstellar » divise déjà les foules. Là où certains considèrent le film comme une fantastique odyssée spatiale et métaphysique, et le digne successeur de « 2001: A Space Odyssee », d'autres n'y voient qu'un mélodrame prétentieux et interminable, où l'on déblatère de la philosophie de comptoir. Pour ma part, voir « Interstellar » n'a jamais fait partie de mes priorités. Déjà, je prend rarement à la légère qu'un film de SF dure 3 heures. Surtout quand les bandes annonces mettent davantage l'accent sur le côté lent et contemplatif de l'œuvre. On m'a dit en revanche que c'était le film idéal à voir en IMAX, et comme j'avais trois heures de libres et que j'ai rarement l'occasion de profiter d'un écran géant, je me suis laissé tenté. Tout ça pour dire, que je ne fait ni partie des aficionados de Nolan ou de la clique opposée. Bien au contraire. Juste un spectateur lambda avec une opinion fraîche sur la question.

« Interstellar » dévoile effectivement tout son potentiel dans une salle de cinéma aux conditions optimales. Traversée d'un trou noir ou d'un vortex spatial, planète océan aux vagues colossales, distorsion du temps et de la matière, entrée dans une nouvelle dimension... Nolan assume clairement son ambition d'offrir un spectacle haut de gamme, capable de nous visser sur notre siège. Visuellement, le film bénéficie d'une photographie éblouissante et austère à la fois. Bien entendu, le film regorge d'effets spéciaux, mais ces derniers brillent autant par leur discrétion que par leur efficacité. La mise en scène élégante et soignée permet d'apprécier la minutie du travail de production, et Nolan peint ses scènes dans l'espace comme de véritables tableaux surréalistes - audacieux mariages entre rêve et science. Il fait honneur aux grands cinéastes qui l'ont inspiré. Bien sûr, l'ombre de Kubrick plane constamment au dessus de nos têtes, (on appréciera d'ailleurs le design ingénieux de Tars, un robot noir et cubique en forme de monolithe sur pattes). Mais Nolan cite aussi John Ford, dans sa représentation classique du midwest Américain, quand il filme son futur d'anticipation comme les USA des années 50, avec ses parties de base ball et ses cultures agricoles à perte de vue.

Cependant, la plus belle réussite du film demeure la bande son. A l'aide de mélodies amples et solennelles, Hans Zimmer nous démonte les tympans à grands coups répétés d'orgues dans les oreilles. Magistrale et envoûtante (sans aucun doute une prochaine nomination à l'Oscar), la musique joue cependant parfois les faux amis. D'une part, tonitruante et implacable, elle sublime l'aspect pessimiste de l'aventure, et met en valeur les notions de sacrifice et le destin funeste de l'humanité. Sans équivoque, la séquence d'amarrage sur une station orbitale en perdition (« the docking scene ») est le meilleur moment du film, avec une partition musicale hypnotique qui vous traverse l'échine et vous laisse en transe. Mais de l'autre, le niveau sonore parfois excessif prend parfois le pas sur les conversations importantes, nécessaires à la compréhension de l'intrigue. De fait, les mauvaise langues pourront toujours dire que Zimmer en rajoute une couche pour justement boucher les fuites dans le scénario, en masquant certains dialogues...

Justement, tandis que la réalisation nous plonge la tête dans les étoiles, les faiblesses du script nous ramènent vite sur la terre ferme. « Interstellar » est non seulement extrêmement bavard, mais Nolan confond « développement » avec « exposition ». Ironiquement, c'est dans le silence et le traitement elliptique de certaines séquences que le cinéaste dévoile le meilleur de sa mise en scène. Le reste du temps, au lieu d'enrichir les relations entre les personnages, il rallonge artificiellement son film à grand renfort de charabia scientifique, et s'embourbe dans la métaphysique new age. Si les moments où Connor (McConaughey, au top) s'effondre en larmes en larmes en pensant à sa fille qu'il a laissé sur Terre sont parmi les plus déchirants, Anne Hathaway s'embarrasse de dialogues niais à l'eau de rose ("l'amour traverse les frontières, il n'a pas de limites, gna, gna, gna), et un Matt Damon léthargique (absolument pas convaincant dans un rôle à contre emploi de scientifique désillusionné) se vautre dans les clichés du méchant de série Z.

Par contre, on ne se demande jamais comment des vagues de centaines de mètres de haut peuvent se former à partir d'une pataugeoire qui vous arrive à peine aux genoux. Comment les gens peuvent manger des quiches aux œufs, alors que l'humanité souffre d'une pénurie de nourriture et qu'il ne reste plus que des champs de maïs. Et puis, c'est quoi ce plan B dont tout le monde parle? Repeupler une planète avec une poignée d'astronautes et un frigo d'embryons..?C'est pourquoi, quand les ficelles deviennent un peu trop visibles, ou que le film pose des questions sans apporter de réponse, Zimmer souffle très fort dans les trompettes pour faire diversion. Au final, les trois heures filent sans que l'on s'en rende compte. Peu importe, le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, comme on dit.



« Interstellar » est un film admirable. Pour sa beauté glacée, son score musical grandiose, le jeu intense de McConaughey et pour quelques scènes magistrales qui valent à elles seules le déplacement. Le film est clairement destiné à être vu en IMAX, il est donc évident qu'il perdra beaucoup d'intérêt lorsqu'il aura atterri sur un petit écran. Loin d'être le chef d'oeuvre annoncé, il mérite néanmoins sa place auprès d'autres films hollywoodiens récents du même genre, aux cotés de « Moon », « Sunshine » et « Contact ». En revanche, le film ne justifie en rien sa durée excessive. A choisir, j'échangerais bien deux barils d' « Interstellar » contre un nouveau baril de « Gravity ».
Nazgulantong
6
Écrit par

Créée

le 24 nov. 2014

Critique lue 470 fois

Nazgulantong

Écrit par

Critique lue 470 fois

D'autres avis sur Interstellar

Interstellar
Samu-L
8

Rage against the dying of the light.

Un grand film, pour moi, c'est un film qui m'empêche de dormir. Un film qui ne s'évapore pas, qui reste, qui continue à mijoter sous mon crâne épais, qui hante mon esprit. Le genre de film qui vous...

le 6 nov. 2014

428 j'aime

72

Interstellar
blig
10

Tous les chemins mènent à l'Homme

Malgré ce que j'entends dire ou lis sur le site ou ailleurs, à savoir que les comparaisons avec 2001 : L'Odyssée de l'Espace sont illégitimes et n'ont pas lieu d'être, le spectre de Kubrick...

Par

le 28 févr. 2015

329 j'aime

83

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

296 j'aime

141

Du même critique

Le Petit Grille-pain courageux
Nazgulantong
7

The dancing toaster

-Harry ! - WHAT ? - It's an inanimate f*cking object ! - YOU'RE AN INANIMATE F*CKING OBJECT! (Bon baisers de Bruges) « Le Petit grille-pain courageux » est un film d'animation de 1987, adapté...

le 11 sept. 2014

7 j'aime

1

Onibaba, les tueuses
Nazgulantong
7

Onibaba

Sorti dans les années 60, durant le développement des courants féministes, Onibaba porte un regard glauque sur la sexualité de la femme. Loin des héroïnes innocentes et virginales hollywoodiennes, la...

le 14 août 2014

7 j'aime

Colors
Nazgulantong
7

Dennis Hopper voit rouge et broie du noir

- « Pop quiz, hotshot! Top! Je me suis shooté à l'oxygène chez Lynch, j'ai lancé la carrière de Néo sur les chapeaux de roue, j'ai roulé des mécaniques et de la Harley avec mon pote Fonda, je suis...

le 10 déc. 2014

5 j'aime