INTERSTELLAR: NON MAIS ALLO QUOI! C'EST L'APOCALYPSE ET T'AS PAS DE 4X4 ?!

Il aurait été dommage de manquer le film d'un tel réalisateur (qui est quand même très bon sur la forme). Pourtant, j'ai hésité, déçu que j'étais de ses réalisations antérieures récentes.
Faut-il aller voir Interstellar?:
J'ai bien voulu laisser une nouvelle chance à un technicien de l'image et des trames que j’apprécie avec ce film, parce que franchement la complaisance jusqu'au-boutiste dans ses précédentes œuvres me laissaient de marbre: un Batman hypocrite ou inconscient (anti-peine de mort mais forte tendance à la non assistance à personne en danger + arbitraire revendiqué + populiste et faussement libertaire, au service de l'ordre en place tout en s'attachant compulsivement à faire mine d'indépendance), des héros essentiellement masculins et personnages secondaires féminins effacés ou ré-apprivoisés lorsque trop émancipées, un ennemi "absolu" mais des amis "complexes" dira t-on, et on peut continuer longtemps cette liste ... On se souviendra aussi de la désormais mythique réplique: -"tu restes avec ta femme pendant que la ville est assiégée?!", suivi d'un: "qu'est-ce qui se passe?" de Madame et une réponse de Monsieur: "chérie rentre à l'intérieur avec les enfants" .
Alors voilà maintenant que nous parlons d'écologie le nouveau synopsis de Nolan s'entrevoyait dans des bandes d'annonces qui étalent leur pessimisme (quittons la Terre, comme si tout le monde allait pouvoir en bénéficier), et la même condescendance vis à vis d'une culture anglo-américaine vieillissante (prisme de la famille vs. espèce, culte du père), on envoie des ricains dans l'univers et naturellement c'est la femme qui est en difficulté: "je ne vais pas y arriver!". Je me disais qu'il serait peut-être plus productif (et juste) de garder les pieds sur Terre, effectivement. Mais j'ai quand-même exercé ma curiosité :

-Allons à leur rencontre (??) ...
(Attendez ma venue aux premières lueurs du 5ème jour. A l'aube, regardez Interstellar).
-Oui. Oui ! Le son de Hans Zimmer mes amis, va retentir dans mes oreilles, une dernière fois !
-Ouii !
-Voici venue l'heure de tirer le porte monnaie ensemble. Curiosité réveilles-toi. Qu'importe le courroux ! Qu'importe la ruine ! Et que ... l'amour soit filial ! :d

Version dérision: Non mais allo quoi! ... c'est l'apocalypse et t'as pas de 4x4 ?!

"Oui ... oui ... oui ... oui " Matt Damon alias Docteur Mann ("l'Homme" en anglais ...)
... ouais ...
C'est vrai quoi, t'es un homme et t'es pas métaphysiquement schizophrène? (du genre pendant une seconde je veux juste sauver ma gueule, question d'instinct de survie, et la suivante l'Humanité, sans rien changer à mes plans)?
Ou alors t'es un pilote et quand tu apprends que ta mission c'est du vent tu veux pas juste te rebaptiser Adam, te barrer à l'aventure comme si plus rien n'était? Loin, bien loin dans les étoiles et au delà avec ton Ève? Pourtant ça a l'air d'être salutaire si on écoute jusqu'au bout. Puisque de toute manière sur Terre il paraît que c'est cuit, qu'on a rien à foutre du vivant et que c'est tellement plus excitant les impulsions expansionnistes.

Bon maintenant la version sérieuse:
Nolan signe ici une œuvre qui remonte un peu le niveau des précédents; j'avoue, j'ai littéralement été transporté dès le départ, et mieux que dans aucun film de ce réalisateur. Initialement le projet été signé Spielberg, qui avait commandé au frère de Christopher Nolan un premier scénario. N'ayant pas pu le réaliser il a laissé la place à ce dernier. Et quelle chance nous avons! Au départ, le scénario nous laissait avec une famille essentiellement masculine (exit la petite Murphy!), et le personnage incarnant la dégénérescence de l'instinct de survie aurait été remplacé par une armée de robots chinois! Ces deux points ont été changé par C. Nolan. Pour une fois, son désir de ne pas polémiquer a eu de bon effets, et a aussi augmenté le coté intimiste de l’œuvre, puisqu'il la dédie à sa propre fille (le nom de code du tournage était d'ailleurs "Flora", prénom de sa fille).
Bouche bée, d'autant plus curieux que m'a rendu l'introduction du film, j'ai accueilli cette chance et j'ai bien fait! Bon ne me demandez pas pourquoi j'ai apprécié la scène d'ouverture où la petite famille fonce en 4x4 à travers leurs champs de maïs alors que c'est leur seule source de nourriture, mais c'est tellement bien monté, tellement bien réalisé et sonorisé.
Puis il y a cette scène à l'école, toujours ambiguë. Sur le moment j'ai apprécié le parti pris pour l'éducation, la créativité, la curiosité qui permet de faire de grandes choses, face à des institutions dont les représentants sont obnubilés par leur besoin de contaminer l'éducation avec l'économie, de produire des serviteurs pour les secteurs clefs (besoin de petits rappels quant aux débats sur l'éducation en Europe et aussi dans le monde?). Néanmoins, ça n'était pas présenté avec ces mots là, et je ne suis même pas sûr que ce soit l'idée véhiculée. En fait, le pilote et père de famille est juste un nostalgique de la conquête spatiale, et défendrait jusqu'à la course à l'armement et aux étoiles même si cette époque avait par hasard un brin d'illusion et de mensonge, car selon lui cela aurait permis de faire des recherches dans des domaines au delà de ces seuls objectifs (médecine par exemple), le genre d'argument que tout le monde un peu fort en rhétorique peut sortir pour justifier à peu près tout et n'importe quoi. Et le film nous implique très intelligemment pour que l'on prenne son parti. Alors du coup, je ne suis pas certain que l'accès à l'éducation, et un enseignement universel soit la première préoccupation du monsieur, et c'est exactement le genre de propos, peu clair, ambiguë, qui ressort à chacun des films de Nolan, quand ce n'est pas carrément une complaisance avec un ordre très conservateur que le personnage en apparence plus ouvert d'esprit et curieux défend malgré lui. Mais ça, je pense que c'est un effet de la psychologie du réalisateur.

Tout d'abord, Nolan est un technicien de l'image, une image qu'il met au service de son script. Il écrit tout et insiste pour que tout ce qu'il écrit soit dans son film (ce qui explique la durée très longue, de son propre aveu). Si j'avais à le décrire avec les critères de la psychologie analytique je dirais que c'est un sacré intuitif, qui est malgré tout très porté sur la recherche des effets de la sensation. Il tourne toutes les scènes selon différents angles de vue, et fait même parler ses personnages à ce sujet: "analyse les faits, regarde les choses de différentes manières" je n'ai plus la réplique exacte mais ça serait intéressant ne serait-ce que pour savoir dans quel ordre sa conscience fait appel à l'intuition et à la sensation. En tout cas, il y a un coté scientifique visionnaire certain, qui contraste avec l'ambiance pessimiste généralement un peu trop au goût des esprits conservateurs. Voir les choses sous différents angles de vue ça n'est pas rester dans sa vie bien réglée. Après quoi, Nolan remplie tous les trous qu'il trouve dans son script; pas de répit, il faut que tout soit là, expliqué, savamment organisé pour que l’œuvre libère tout son potentiel. Et quelle réussite! Comparé à The Dark Knight Rises que j'ai pris pour une blague. Seulement voilà, ça implique aussi une recherche d'ordre, car juste après l'intuition vient la pensée rationnelle, froide, contexte de presque tous les débats du film et même de l'humour (très réussi ici); Nolan pose les avis sans jugement, laisse tout en plan comme ça, et il y a bien parfois quelques partis pris ou répliques un peu acerbes, des jugements de valeur, mais elles ne surmontent pas cette impression globale de froideur, de rigidité, parce que le sentiment vient tout juste derrière la mise en scène rationnelle; du coup on a cette impression de complaisance absolue qu'il serait dommage de voir comme le fond véritable de l’œuvre (comme en témoigne la suite des événements que je ne peux mentionner sans spoiler le film ...). Tout est au profit du raisonnement rationnel, de l'exaltation exploratrice et les rationnels sont très forts pour impliquer nos émotions, pour se les approprier et nous faire penser que nous sommes sur la même longueur d'onde (je ne vais pas faire un cours sur la forme de toute propagande, mais n'oubliez pas ceci quand vous regardez la bande d'annonce ci dessus ou quand vous allez voir le film). Tout juste, il faudra par exemple se dire que le personnage joué par Anne Hathaway est tout sauf cette frêle jeune femme en détresse que nous montre l'une des bande d'annonces, ni la gaffeuse qu'un certain moment du film nous montre (on remonte le niveau du précédent film de Nolan pour le coup). De même, il ne faudra pas croire que l'instinct de survie caricatural et peu précautionneux incarné par le personnage de Matt Damon serve un quelconque message du film prônant une misanthropie sans borne et un pessimisme qui fait forcément le jeu des opinions conservateurs voir même anti-écologie. D'ailleurs pour le coup, je pense que si c'était le cas, Matt Damon ne se serait pas embourbé dans ce projet, ni la ribambelle d'acteurs devenue fidèle au réalisateur qui ont tous plus ou moins des sympathies pour les thématiques écologistes et, jusqu'à un certain niveau celle sur un progrès social.^^
Qu'en est t-il donc des valeurs? Bien comme elles sont quelque peu étouffées par le complexe propos/mise en scène qui est tout rationnel, on a ce qui semble être la suite logique d'une personnalité très rationnelle: une vague de sentimentalisme un peu naïve dès qu'il s'agit d'en venir aux émotions. Car ce sont bien les sentiments que les émotions servent le plus, et comme celles ci sont réprimées, méfiées par le rationnel, elles ressortent comme un ballon de baudruche qui se dégonfle au contacte des thèmes appropriés. "L'amouur"! seule chose à transcender l'espaace et le temps! Amour filial s'il en est, parce que Nolan s'adresse quand même à la famille américaine. Et amour tout court ensuite, parce que ça fait des enfants (mouais ...), la boucle est ainsi bouclée.

Alors voilà, comme c'est l'intuition, la pensée rationnelle et le sentiment qui font le gros du travail, la sensation vient sur-compenser tout derrière (je pense). D'où cette manie du remplissage jusqu'au boutiste, du détail et de l'expression littérale que certains ont trouvé un peu lourd par moments; mais dans d'autres moments, c'est tellement magnifique! Un décollage que je ne suis pas près d'oublier, une plongée dans l'univers vertigineuse, et un saut dans la dimension quantique dont on reste bouche bée même si dès le départ je m'y attendais ... mais pas sous cette forme là. Chapeau l'artiste.
Reste que je suis extrêmement déçu par le peu d'effort (l'absence en fait) entrepris pour nous sortir un peu du prisme culturel anglo-américain (on parle de l'Humanité quand même, là ça devient lourd!). On aurait pu avoir une équipe internationale, comme cela se fait de plus en plus dans les missions spatiales d'ailleurs. On est loin de l'épopée SF réaliste de Kim Stanley Robinson (trilogie martienne) qui envoyait une centaine de colons de toute nation scientifiquement avancée (américains, russes, japonais, etc ...) ; là on envoie un père de famille, une femme et un black. Ok. Sinon comme le propose un article de Rue89, vous pouvez relire et revoir "Nausicaa de la Vallée du Vent" de Hayao Miyazaki, dans un autre genre une histoire d'anticipation sur le climat amplement plus réaliste et moins tête en l'air que cette fable scientifico-familiale, qui a son lot de valeurs et de beauté, tout autant sinon plus, et a le mérite de ne pas relayer la mise en scène des peuples en arrière plan de questions philosophico-scientifiques parfois bien secondaires.
Ou alors, vous avez les géniaux films comiques "Il était une fois dans une galaxie près de chez vous", made in Québec (c'est particulier je sais), qui offrent une parodie de ce genre de scénario à la Star Trek, sauf que la parodie a été faite presque dix ans avant Interstellar et place son lot de subversion quant aux questions sociales. Juste énorme.

INTERSTELLAR: Je mets deux étoiles pour la réalisation, deux pour la musique, deux pour l'humour, et une pour le propos; cela nous fait 7/10. C'est plus qu'aimable de ma part.
Greenbat85
7
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le 16 déc. 2014

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Greenbat85

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