Interstellar lorgne davantage du côté du Prestige et de Inception, eux aussi voyages périlleux, chaotiques, incertains à travers temps, espace et matière; eux aussi interrogeant de façon obsessionnelle temps, espace et matière, concrètement et viscéralement, au travers de protagonistes démiurges et torturés, pris à leur propre jeu sacrificiel, au risque d'y laisser raison, raisonnable et vie. Interstellar, une odyssée comme le Prestige et Inception, mais à une échelle plus vaste, à une échelle bien évidemment interstellaire, comme l'annonce son titre qui est aussi son programme : une odyssée nouvelle pour la survie de l'humanité toute entière, paradoxalement condensée, concentrée sur la relation intime entre un père et sa fille esseulée. Il s'agit de partir au long cours vers de lointaines, d'incertaines contrées constituées chez Nolan d'espace, de matière et d'antimatière, de temps, et d'esprit. L'aventurier, le découvreur de lointain voyage dans toutes les dimensions, sans restrictions, pour finir par abolir toute distance. Pour lui l'aventure est totale, insensée, défiant le normal, et intentée à la fois pour le bien commun - sauver le monde, et individuel - accomplir sa destinée, redonner du sens à son existence de fermier. Cooper livré à lui-même dans sa perdition finale, voyageur égaré illuminé, livre un combat de l'esprit à la matière, un combat personnel, un combat de tous les sens dans tous les sens, sa quête intime se mêlant à celle de l'Humanité. Même s'il faut sauver la race humaine, il faut d'abord tenir une parole donnée : revenir du voyage, être l'Ulysse de sa fille. La force d' Interstellar repose sur ce retour tant désiré et tellement "impossible", dans ce programme du voyage impérieux et périlleux. Ce n'est pas un hasard si deux gageures cinématographiques des plus élaborées et aussi des plus abouties de cette dernière décennie nous content des voyages invraisemblables, mettant la technologie de pointe au service de quêtes hors norme. Peter Jackson filme et re-filme le(s) voyage(s) de ses Hobbit durant six films qui sont des épopées flamboyantes et mystiques, des plongées au cœur des légendes et des mythes . Et que font ses Hobbit en dehors de voyager? Ils sauvent le monde, ils se sauvent ou se sacrifient, ils changent, ils sortent de leurs "trous", ils viennent au monde une seconde fois. Sans le savoir au départ, sans se l'imaginer, sans rien prévoir, ils se dotent d'une seconde nature de courage, d'héroïsme; ils finissent vainqueur du combat ultime, celui contre leur peur profonde. Et le Cooper de Nolan vient aussi au monde pour la seconde fois, il relit le monde, le décrypte, le redécouvre en somme comme personne auparavant, Ulysse et Colomb à la fois. Chez Nolan la fiction explore la science, la tord, la malmène, l'interroge. Alors évidemment Interstellar fait figure de proue, figure de prouesse à côté de l'anticipation ambiante - aucun des récents produits hollywoodiens du genre ne parvient à se hisser au niveau narratif et esthétique de cet ovni, et bien sûr pas le gentil pari visuel que constitue Gravity, tout de 3D paré, mais loin derrière l'ampleur et l'audace du projet Nolan qui parvient à rendre la fin du monde terriblement possible, effrayante, palpable. Son futur de désolation est proche, à nos portes, ou nous à ses portes. Nolan nous le montre, et nous désigne comme seul salut possible. C'est en Cooper que Cooper puise et trouve le salut, la force de pousser la porte de l'autre dimension que Nolan nous laisse apercevoir sans la nommer.