Cette bizarre humanité

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]

« bizarre » : c'est le mot qui m'a le plus traversé l'esprit pendant le visionnage d'Invasion (le premier film de Kiyoshi Kurosawa, coutumier de ce registre m'a-t-on dit, que je vois).

Pour une fois, je n'ai aucune envie de faire une critique sur la cohérence ou la vraisemblance. Beaucoup de choses sont incohérentes et invraisemblables dans Invasion, cela fait partie de son esthétique, et j'ai été emporté malgré une mise à distance permanente. J'ai ri, profité avec étonnement de cette manière de regarder plutôt inhabituelle pour moi, et j'ai été curieux tout au long de la séance de ce qui allait arriver ensuite. Que demander de plus ?
En vrac, une petite liste de quelques unes de ces bizarreries, que je recense donc parce qu'elles ont marqué mon expérience de spectateur et non pour leur reprocher leur étrangeté : le pitch lui-même est incongru ; les motivations des aliens et le fonctionnement de leur pouvoir ; il m'a fallu une demie-heure pour comprendre les relations entre ces personnages qui pour la plupart ont l'air d'avoir douze ans ; tous les personnages posent des questions inattendues dans n'importe quelle situation, et les réponses le sont tout autant ; les histoires de magma qui explose et d'atmosphère éjectée ; les scènes d'arrestation où la police n'a aucune stratégie, et Makabe (Masahiro Hogashide) abandonné vivant après son interrogatoire ; les gens qui travaillent assidûment jusqu'à la dernière seconde de leur vie sans s'apercevoir que des dizaines d'autres tombent comme des mouches dans le même couloir ; les motivations personnelles de Makabe et ses blagues sur les extra-terrestres ; pourquoi le type qui perd le concept de la peur de mourir n'y survit pas et pourquoi Tetsuo (Shôta Sometani) n'achève pas Makabe ; le ministre de la santé qui semble diriger l'armée et met en place un interrogatoire avec une grosse mise en scène mais aucune forme de plan pour le mener, etc.

Digression : j'ai beaucoup apprécié la bande-son, très marquée, par exemple la texture sonore oppressante à la limite du musical pendant la première scène à l'hôpital. Elle a produit beaucoup d'effet sur moi, parce qu'elle se superposait à l'action sans l'accompagner directement, en apportant une atmosphère très différente, et ce de manière totalement explicite.

Et donc ? Est-ce qu'il y a un message ? Peut⁻etre, même si je le cherche encore. Kurosawa et son co-scénariste Tomohiro Maekawa dressent en tout cas un portrait fort pessimiste de l'humanité, entre l'incapacité d'Etsuko (Kaho) à faire passer les intérêts de la planète avant son petit égoïsme lors de la tentative avortée de négociation de coexistence pacifique, et le concept d'« amour », décisif dans le dénouement, comparé à des anti-douleurs pour mieux supporter la réalité et éviter de se poser des vraies questions -- variation ironique sur le thème de l'amour salvatateur qui m'a beaucoup plu, le couple formé par Etsuko et Tetsuo n'ayant effectivement pas du tout la stature d'un deus ex machina.

Bref, moi aussi, si j'étais extra-terrestre, j'aurais sans doute envie d'enquêter un peu sur cette bizarre humanité.