Horreur, souffrance, terreur, barbarie : 2 mots, un nom : Gaspar Noé.

Ce film m'a foutu la gerbe. Mais tu sais, une bonne grosse gerbe, celle qui revient de très loin, comme après une énorme cuite. Il m'a donné mal au crâne, aux deux tiers de ce film ignoble, je me demandé : "mais pourquoi tu regardes ça ? Pourquoi tu t'infliges ça ?". Oui, étant très admiratif de Noé, je me suis attelé à son film le plus controversé : Irréversible, le film qui a fait scandale à Cannes. Eh ben je ne comprends vraiment pas pourquoi il a été sélectionné à Cannes vu le scandale..
Non mais vraiment j'en ai gobé des films malsains et glauques, des films ultra violents et marquants, mais celui-là, je ne comprends pas, m'a vraiment dégoûté. ça n'a pas passé. Et Noé a encore réussi son coup, il m'a transporté vers la haine, le désespoir, la souffrance, le dégoût. Un vrai dégoût. Je ne reverrai plus jamais ce film, c'est sur.
Il faut remettre ce film dans son contexte : 2001. Gaspar Noé, criblé de dettes, refuse de faire des pubs et veut tout rembourser avec un nouveau projet d'un long- métrage poignant et marquant, un drame intimiste sur la vie d'un couple. Lors d'une sortie en boite, il croise Vincent Cassel. Ils parlent, Cassel trouve le projet intéressant, en parle à sa femme (la sublime Bellucci) qui elle motive son Vincent pour être les personnages principaux. Noé trouve enfin des producteurs audacieux qui donne carte blanche avec 4 millions de dollars, et embauche le surprenant Albert Dupontel (d'ailleurs, Dupontel et Noé ont un univers corrosif et noir très poussé et cela les rassemble vachement). Juste avant le tournage, catastrophe : le couple star Bellucci/ Cassel refusent catégoriquement de se montrer entièrement nu face caméra, et Noé pour les garder va complètement changer son scénario, faire une histoire de sexe, de vengeance et de viol à l'envers (un peu comme Memento). Ils vont faire un tournage express et intensif de 15 jours, et Noé va réaliser et monter en entier son film en 10 petits mois pour le présenter à Cannes. Voilà pour les petites histoires, et le contexte.
Résultat : Noé est venu à Cannes pour choquer, et il a bien choqué ! Une scène de viol de 10 longues minutes atroces, un silence assourdissant, des spectateurs qui se sont évanouis ou ont vomis... Noé a bien secoué Cannes, et tout le gratin bobo- parisien du cinéma français.
Ce film- choc en soi est unique : je l'ai détesté, mais après je l'ai aimé, bizarrement. Je comprends ceux qui le traitent de chef d'oeuvre subversif et ceux qui le traitent de bouse infâme et incompréhensible. En fait, je peux autant dire que c'est une merde que c'est un immense chef d'oeuvre. Intéressant donc de voir Noé s'affranchir de tous les codes "normaux" du cinéma et de s'affranchir même de la notation d'un film, puisque Irréversible est un film qui ne se range dans aucune case.
Je pourrais dire que c'est une merde, mais le problème c'est qu'il y a beaucoup trop de trucs excellents pour dire que Noé ne faut qu'un film choquant pour choquer : c'est un des rares cinéastes actuels qui s'est créé un univers noir, glauque, sanglant très marquant et identifiable entre milles, et c'est peut- être le seul cinéaste en France qui ose montrer la réalité, l'horreur, la vraie, celle qui se passe tous les jours dans les bas- fonds de notre société. C'est éprouvant de regarder ce film- là, mais c'est la vérité, aussi atroce soit- elle. Le message d'Irréversible est beaucoup plus large : il traite bien sur de l'animalité de l'humanité dont la quintessence de ce message est le viol, mais aussi de notre société trop individualiste et égoïste, mais aussi du destin, de la religion. On ne peut pas revenir en arrière, c'est le gros message du film, c'est fait, point. Le plus dur, non seulement il y a une violence physique extrême et très réaliste, mais surtout SURTOUT une violence psychologique insoutenable au fur et à mesure du film (au début, la 1ere partie du film montre l'horreur de l'humanité, alors que la 2e partie montre sa poésie, sa douceur, et toutes les choses qui auraient pu être évités pour arriver à ce drame) puisqu'on sait que tout aurait pu être évité, ou comment cet animalité a pris le dessus sur l'humanité.
Un film- choc très dur et très marquant qui repose sur plusieurs choix bien trouvés : le côté "artisanal" du film renforce le réalisme, la photographie superbe, la direction d'acteurs assez incroyable avec 3 acteurs qui "habitent" leurs rôles avec un Cassel brisé et un Dupontel déboussolé (mention spéciale à Monica Bellucci, qui a eu un rôle très complexe et très dur à jouer), la réalisation vomitive (et voyeur impuissant du viol) renforce tout le côté glauque d'Irréversible, la musique de Thomas Bangalter est viscéralement parfaite, seul le scénario qui est inexistant nous "expulse" de temps en temps du film.
Irréversible aurait du avoir la palme d'or c'est sur, il nous révulse, nous indigne, nous fait réagir, et c'est justement ça ce que veut précisément Noé.

Une expérience sensorielle et unique de violence, de vengeance, de subversion. Une vision suffit, à ne surtout pas mettre dans les mains de tout le monde, seuls les publics avertis et déjà amateur de l'argentin fou pourront l'aimer. Peut- être pas un chef d'oeuvre, mais surement pas une merde.


PS : A noter, c'est un des seuls films sur le viol où le violeur s'en sort indemne. Comme dans de nombreux cas dans la vie réelle, où la femme va ressentir un poids toute sa vie et le violeur s'en tire librement. A méditer...

Mathieu_Renard
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le 8 juil. 2015

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Matt  Fox

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