Mon premier Loach et je suis plutôt déçu. Pas convaincu. A force de vouloir me faire la leçon, j'ai été irrité par la démonstration didactique. "Je vais vous montrer comment le profit éteint la lumière chez un personnage au départ tout à fait humain, comment le système économique et social déshumanise". Bon, a priori ce n'est pas une ambition détestable, non, mais le fait que cela soit la seule ambition affichée (c'est un sentiment tout personnel, d'autres ambitions ont pu m'échapper) m'ennuie. Le trait était trop gros en quelque sorte.

Ce n'est qu'à la moitié du film que j'ai pris en grippe Ange le principal personnage ou plutôt l'exploitation qu'en fait le cinéaste. Je n'ai pas cru à l'évolution du personnage. Faisant preuve d'une certaine humanité, elle plonge très vite dans le monde obscur des profiteurs, laissant de côté toute compassion et sensibilité pour devenir ce qu'elle parait honnir dans le premier temps. Ce bouleversement se traduit de manière beaucoup trop brutale pour moi. Je ne dis pas que ce cynisme n'existe pas, loin de là, bien au contraire, cependant j'ai du mal à croire qu'un personnage aussi humain puisse aller aussi loin dans l'abject, aussi rapidement, sans l'ombre d'une hésitation malgré les conséquences périlleuses que cela représente pour elle et sa famille. Il faut un terreau propice que ce personnage ne présente pas au départ. Il faut déjà être cassé, avoir une coulisse de cynisme en quelque sorte.

J'ai suivi avec peu d'intérêt finalement la première moitié de film somme toute assez ordinaire, qui nous montre comment cette femme se débrouille avec dynamisme et courage pour contrer le pervers marché du travail. Une présentation ordinaire, mais je ne lui en aurais pas fait le procès si cela avait abouti à quelque chose de plus subtil.

****SPOILER:
Et j'ai pris un petit uppercut quand on découvre que les deux demoiselles avaient de quoi payer les ouvriers puis suis sorti complètement du film quand Ange téléphone à l'immigration. C'en était trop, perte de crédibilité totale. Je n'y ai pas cru et ne trouvais plus moyen de m'attacher au récit, ni au devenir des personnages. J'avais la désagréable impression de suivre un cours sur la dégringolade morale d'un personnage perverti par la soif d'argent à tout prix, sur l'hypocrisie du système et l'emprisonnement de tous ses éléments, oppresseurs, opprimés.

Pour avoir une bouffée d'émotion réelle, il me faudra attendre la toute fin, les derniers plans sur une ukrainienne, son sourire nourri d'espoir et de candeur, future victime, donnant les euros pour son malheur à venir, découvrant son cou pour la guillotine à l'arc-en-ciel. Ce sourire et la délicatesse timide de ses gestes, avec en contre-point le regard noir d'Ange, délabrée par le démon de l'argent sont éprouvants. D'une tristesse profonde. Malheureusement, ce petit instant ne survit pas à la lourde artillerie, la caricature que le scénario impose tout le long du film.
****fin SPOILER
Alligator
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le 23 janv. 2013

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