Cher Xavier,


Voilà, j'ai vu tous tes films.


J'ai entamé mon voyage dans ta filmographie en commençant par ta dernière oeuvre (Mommy) et je boucle la boucle par ton tout premier projet, alors que tu avais à peine 20 ans, ce film au titre qu'André Gide n'aurait pas renié : J'ai tué ma mère.


Je m'en vais te dire tout le bien que j'ai pensé de ta première incursion dans le monde du 7ème art, qui révèle déjà toute l'étendue de ton talent, la profondeur de tes obsessions et ton sens inné de l'esthétique de l'amour et de la colère.


Car c'est surtout de ces deux sentiments qu'il est question dans cette oeuvre, qui fait pour moi totalement écho aux problématiques de Mommy, mais aussi des Amours imaginaires (sans doute mon préféré). Tu déploies avec une audace et une créativité infinies les virages de l'émotion, proposant un cinéma littéraire et esthétique absolument incomparable.


Il faut avoir eu le coeur brisé, aimer la poésie, avoir mal à sa relation filiale et savoir goûter la beauté pour déguster tes oeuvres merveilleuses que nous sommes, heureusement, nombreux à savoir apprécier à leur juste valeur. Ton cinéma est générationnel, il parle surtout à ceux qui ont grandi dans les années 90 : la musique que tu choisis, ces plans ralentis de dos, ce fabuleux jeu de couleurs et de lumières et l'intensité toute autobiographique que tu mets dans chacun de tes personnages m'ont époustouflée à chaque fois. Bien entendu tu as sans doute des défauts mais je ne les vois plus : ainsi en va-t-il, sans doute, du véritable amour.


Dans ce film, tu joues ton rôle bien sûr, celui d'un gamin insupportable, en crise, colérique et hurleur, qui oscille sans cesse entre "Je t'aime" et "Je te hais". Tu y apposes une puissance dramatique folle et, même temps, impossible de résister aux sourires que nous tire cette langue québécoise si vivante et imagée. "Tu m'égorges la vie, tu m’écœures !", lances-tu à ta génitrice pour, quelques secondes plus tard, faire apparaître à l'écran des extraits de poèmes et de lettres qui disent ton tendre attachement pour celle qui t'a donné la vie.


Nous en sommes tous là, tu sais : dans une relation compliquée avec nos parents, nous débattant dans nos déceptions, nos amours non partagées, avec parfois, heureusement des trouées lumineuses et gracieuses qui nous font aimer la vie, malgré tout.


J'ai pensé aux Invasions Barbares par moments (le message vidéo, la scène de fin), et j'aime penser que tu rends hommage à ces cinéastes qui t'ont inspiré si jeune, t'ont inoculé le virus de l'art cinématographique. Tous ceux qui font de toi aujourd'hui, 7 ans après ton premier film, l'un des plus grands réalisateurs actuels.


J'ai aimé ces plans en noir et blanc, ces bouleversantes confessions face caméra - bon sang, tu crèves l'écran, tu me donnerais presque envie de te chanter Ziggy - cette maîtrise technique hallucinante qui est la tienne et qui te permet les plus belles accélérations et ralentis au gré de la musique, cette mise en lumière et en beauté de tous tes acteurs : un immense bravo et un immense merci.


Continue à nous proposer ce cinéma sensible, violent et beau, terriblement humain, audacieux, romantique contemporain, qui te ressemble et nous ressemble aussi, finalement.


Continue à offrir ces rôles fabuleux à ces acteurs que nous connaissons mal mais qui recèlent une fraîcheur et une vérité dévastatrices (Anne Dorval, Suzanne Clément). Ne te laisse pas avoir pas les sirènes d'Hollywood et ses acteurs bankables : c'est dans l'intimité de ton dialogue, dans son originalité et sa sensibilité profondes que tu nous bouleverses le plus.


Xavier : tu es grand, très grand.


EDIT : Pour tous ceux qui auraient l'outrecuidance d'assassiner ce réalisateur et l'envie d'argumenter contre lui : épargnez-moi cela, ou provoquons-nous en duel et qu'on en finisse.

BrunePlatine
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le 7 déc. 2015

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