Gabriele Mainetti avait déjà fait sensation avec son précédent court métrage, Tiger Boy, qui avait eu le privilège d’être nommé aux oscars. Pour son premier long métrage, il a l’audace de vouloir poser sa marque dans le genre très populaire du super-héros, là où la concurrence est très rude, du moins sur le plan purement commercial. Au niveau artistique, Jeeg Robot a toute la place qu’il faut pour impressionner et c’est ce qu’il fait dans la plupart des festivals où il est présent, comme actuellement à l’Étrange Festival. Un film qui vient s’imposer dans le contexte difficile d’un cinéma italien en plein déclin depuis plusieurs années et qui a perdu toute renommée. Alors quand une oeuvre italienne s’instaure dans le super-héros en ayant le titre d’un dessin animé japonais, il est très vite facile de s’attendre à un bon gros nanar. Mais il faut très vite mettre ce préjugé de côté car ce serait se priver d’une belle surprise.


Sur sa trame narrative, le film ne révolutionne rien. L’apprentissage du héros est des plus classiques dans ce qui entoure la découverte de ses pouvoirs. C’est plutôt son évolution psychologique qui sera plus intéressante, dans la mesure où il commence l’histoire en n’étant qu’un petit voyou sans envergure. Et c’est à ce niveau que le long métrage se scinde en deux. D’un côté, on aura un film de super-héros classique et attachant et d’un autre, l’exploration minutieuse de l’univers mafieux avec pour personnage central, le bad guy de service. Voir en parallèle la montée en puissance du protagoniste et de l’antagoniste est une idée assez intelligente, car elle permet de donner à ses deux personnages une réelle tangibilité. Pour Fabio, le méchant, son côté over-the-top flirte avec le caricatural mais n’y tombe jamais grâce à une finesse d’écriture vraiment impressionnante. Il dispose du parcours le plus passionnant, le plus barré et le plus drôle qui arrive toujours à le nuancer et donner un poids non négligeable à ses motivations. On peut cependant être déçu que son personnage devienne un peu trop un « Joker » lors du dernier acte mais ceci est compensé par la prestation impeccable et jubilatoire de Luca Marinelli, l’acteur qui l’incarne. Le casting est globalement de haute tenue d’ailleurs, même si Claudio Santamaria est un peu plus monolithique et manque d’envergure en premier rôle, c’est aussi voulu par l’écriture de son personnage, mais sa performance est magnifiquement contre-balancée par l’énergie et la justesse de Ilena Pastorelli. Le duo qu’ils forment fonctionne à merveille et permet à l’apprentissage du héros de gagner en saveur. Car même si le traitement du personnage principal est trop classique pour pleinement captiver, l’ajout de Alessia est un vrai vent de fraîcheur qui va au-delà du simple « love interest ». Le personnage est original et finement amenée au sein du récit et possède une histoire plus suggérée que vraiment explicitée, ce qui en fait toute sa force. La relation qu’elle entretient avec le héros est touchante, ne tombe jamais dans la niaiserie et est même incroyablement pertinente lorsque que le film traite frontalement les fêlures de nos icônes. Que même le héros n’est pas parfait et que la vie n’est que désillusion.


Malgré tout, c’est un film qui appelle à ne jamais abandonner. Même si il dispose d’un propos actuel et très terre-à-terre, c’est une oeuvre qui pousse aussi à l’imaginaire et qui se sert avec habilité de son héros et des symboles visuels pour faire passer cela. La mise en scène de Gabriele Mainetti est d’une maîtrise sidérante que ce soit techniquement -le film dispose d’un petit budget mais ça ne se ressent jamais- ou en terme d’idées. Les situations sont souvent loufoques, le tout ne lésine pas sur l’humour malgré son sérieux affiché, et toujours mises en images avec soin, grâce aussi à une photo léchée et accompagnée d’une musique classique mais efficace. Les scènes d’action qui impliquent les pouvoirs manquent peut-être un peu de dimension, elles sont restreintes en raison du budget mais elles se montrent quand même très impressionnantes pour ce qu’elles ont à offrir, notamment lors du climax. Après on remarque assez vite que Mainetti est plus inspiré lorsqu’il livre un pur film de gangster que lorsqu’il s’occupe des péripéties du super-héros. D’ailleurs, la différence des genres et parfois trop marquée entre les deux intrigues, elles ont du mal à s’entremêler même si la barre est redressée lors du dernier acte mais ce n’est permis que par certaines facilités narratives. Le scénario étant parfois pas très regardant quant aux capacités de son personnage pour créer de la tension et on se dit que certaines situations auraient pu être conclues avec plus d’intelligence.


Jeeg Robot est une très belle réussite malgré quelques petites imperfections par-ci par-là. Mais il n’y a clairement pas de quoi bouder son plaisir devant ce qui est la plus grosse surprise de L’Étrange Festival tout comme probablement le meilleur film de super-héros de l’année. L’oeuvre sait faire preuve d’audace dans un traitement pour le moins classique mais très efficace. Il y a une véritable vision d’auteur qui arrive à être accessible à tous grâce à un divertissement géré avec une main de maître, Gabriele Mainetti s’imposant comme un petit prodige capable de faire de belles choses avec un budget dérisoire. Les promesses pour la suite de sa carrière sont grandes et c’est assurément un cinéaste à suivre de très près. En tout cas, il serait dommage de se priver de son Jeeg Robot qui devrait sortir en salles au début de l’année 2017, et qui devrait assurément séduire grâce à son écriture pleine de finesse, sa mise en scène acérée et son casting impeccable.


Ma critique sur cineseries-mag.fr

Frédéric_Perrinot
8

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 12 sept. 2016

Critique lue 687 fois

5 j'aime

1 commentaire

Flaw 70

Écrit par

Critique lue 687 fois

5
1

D'autres avis sur On l'appelle Jeeg Robot

On l'appelle Jeeg Robot
Fosca
8

Jeeg in my pants

Banlieue Romaine, de nos jours, Enzo traine sur son sofa. L'appartement est merdique, le papier peint élimé, les meubles tiennent à peine debout. Lui, on le retrouve affalé comme une baleine échouée,...

le 25 avr. 2017

26 j'aime

6

On l'appelle Jeeg Robot
Chocodzilla
9

Critique de On l'appelle Jeeg Robot par Chocodzilla

Les films de surper-héros on connaît. On connaît même bien puisque les sorties régulières en viendraient presque à nous fatiguer du genre. Bons ? Mauvais ? Tout le monde se tire la bourre. Les «...

le 5 févr. 2017

21 j'aime

1

On l'appelle Jeeg Robot
jérômej_
7

Et non, tous les super-héros ne sont pas américains !

Fallait avoir de l'audace pour oser marcher sur les plates-bandes des films de super-héros américain, et surtout, ne pas se planter ! Et bien, un italien, un certain Gabriele Mainetti, inconnu au...

le 11 sept. 2017

18 j'aime

22

Du même critique

Glass
Frédéric_Perrinot
6

Une bête fragile

Alors en plein renaissance artistique, M. Night Shyamalan avait surpris son monde en 2017 lorsque sort Split et nous laisse la surprise de découvrir lors d'une scène en début du générique de fin...

le 22 janv. 2019

66 j'aime

6

Ça
Frédéric_Perrinot
7

Stand by me

It est probablement un des plus gros succès et une des œuvres les plus connues de Stephen King, et il est presque étrange d’avoir attendu aussi longtemps avant d’avoir eu une vraie adaptation...

le 22 sept. 2017

63 j'aime

1

A Cure for Life
Frédéric_Perrinot
8

BioShock (Spoilers)

Après une décennie à avoir baigné dans les blockbusters de studio, Gore Verbinski tente de se ressourcer avec son dernier film, faisant même de cela la base de son A Cure for Wellness. On ne peut...

le 17 févr. 2017

59 j'aime

3