Jeux interdits par Pointofview
« Pour avoir su élever à une singulière pureté lyrique et une exceptionnelle force d'expression, l'innocence de l'enfance au-dessus de la tragédie et de la désolation de la guerre. »
Cette mention, apposée au film lors de son sacrement à la Biennale de Venise 1952, résume à elle seule l'infinie beauté de Jeux Interdits ; une mise en scène pudique d'un drame familial de l'Exode 1940, loin de tout pathos et dont le discours résonne bien au-delà du “simple” cadre de la guerre. Jeux Interdits, c'est tout d'abord un thème musical, celui de Narciso Yepes, sur lequel s'ouvre l'histoire (et l'Histoire), comme on ouvrirait un livre de contes. Simple et pourtant efficace, à la manière d'une introduction, il pose avant les premières images et les premiers mots les fondations du récit à venir : oscillation subtile entre berceuse et complainte, il dépeint à la fois l'innocence de l'enfance et le chagrin du drame. Car il est bien entendu question d'enfance dans l'oeuvre de René Clément, et plus précisément de la perception de la mort par une jeune orpheline. C'est en ce sens, d'ailleurs, que le cadre de la guerre n'est pas strictement nécessaire à l'élaboration de la réflexion sur le deuil. La petite Paulette, agée d'à peine 8 ans, perd brutalement l'ensemble des repères de sa vie : forcée de fuir Paris, elle abandonne avec sa famille les souvenirs de son enfance. Enfin, ses parents et son chien sont abbatus lors d'un raid aérien au dessus des routes de l'Exode. Clairement définie comme très “neutre” de part son ignorance de la religion et de la notion de mort, Paulette va peu à peu découvrir et expliquer à sa manière ces deux entités dont elle ne connaît rien, avec l'aide de Michel, jeune garçon débrouillard et malin qui va la recueillir.
Le pari d'une telle illustration est donc délicat, les deux principaux protagonistes n'étant que des enfants très jeunes, l'équilibre du film repose en grande partie sur eux ainsi que sur les subtilités de mise en scène, dans les deux cas très riches. S'il est difficile de déterminer la qualité du jeu d'acteur pour des âge si peu avancés, nul doute que Brigitte Fossey et Georges Poujouly incarnent parfaitement une jeunesse qui, malgré un environnement hostile, continue de s'épanouir. C'est à travers leur jeu de construction à la fois physique et spirituel d'un cimetière - où la mort ne serait pas si tragique que celà - que le film tire toute sa puissance. Une succession d'images et de figures à la force symbolique singulière jalonnent le récit, le lieu du Moulin abandonné en étant le plus bel exemple. Véritable terrain de jeu des deux enfants, mais aussi hâvre de paix où ils peuvent se confier à son seul habitant (le vieil hibou qu'ils disent presque éternel), le Moulin est un réel exutoire pour le chagrin des protagonistes : celui de Paulette, qui cherche à expliquer le devenir de son petit chien, et celui de Michel, qui a subitement perdu son frère. Même l'accès à la bâtisse est empreint de spiritualité : pour se rendre au Moulin, il faut traverser le ruisseau, qui s'écoule tel le Styx entre le monde des vivants et le monde des morts, sans distinction aucune de Paradis ni d'Enfers.
René Clément illustre par son Jeux Interdits la puissance du cinéma comme “art de montrer”, véritable tour de force d'une symbolique toute en retenue, il parvient sans artifices à mettre en image un monde enfantin aux échos tragiques empli de questions existentielles.