Le film rappelle en un temps “La Vie Est Belle” de Roberto Benigni, qui a su insuffler le drame dans un sinistre jeu pour la survie. Mais Taika Waititi mise sur un modèle plus délicat, reposant intégralement sur une satire burlesque, comme Chaplin ou Tarantino ont pu passer par là. Un certain regard vers Wes Anderson se fait sentir sur la structure narrative des premières minutes, qui fonctionnent et qui présageait du bon dans un discours engagé, mais distant, vis-à-vis du fanatisme naziste. Les reprises des Beatles ou encore David Bowie en témoignent. Pourtant, le cinéaste s’égare dans des maladresses que l’on distingue, passé un certain recul, car le film nous invite formellement à prendre position et à changer constamment de point de vue. A travers le héros, nous avons une vision minimaliste d’un enfant et de son obéissance aveugle envers sa patrie, ce qui diffère des principes et l’éducation qu’il reçoit à domicile.


Souvent prenant, l’humour de Waititi touche, mais ne satisfait pas entièrement, car il existe comme un vide. Sans réel fil rouge, le film se heurte à son propre discours, qui s’use dès l’instant où un incident réforme Johannes Betzler ou Jojo (Roman Griffin Davis) à participer à l’effort de guerre de loin. Et c’est dans cet environnement qu’on le fait évoluer, sous la supervision de sa mère Rosie (Scarlett Johansson) et notamment de son référent, le capitaine K. (Sam Rockwell). Entre tendresse et passion désabusée pour la violence cartoonesque, le petit Jojo finit par confronter le système d’endoctrinement, qui arrache la vertu et l’enfance de bien des individus, que l’on oublie un peu, car souvent, on ne regarde pas plus loin que l’uniforme. On recherche ainsi des symboles fort, pour appuyer la divergence morale que Jojo acquiert au fur et à mesure qu’il en apprend sur les Juifs et c’est justement dans un élan poétique et sincère que le cinéaste trébuche et manque de prendre son sujet au sérieux.


L’ami imaginaire de Jojo est à la fois un guide spirituel et un démon intérieur à terrasser. L’idée est bonne et promettait bien des échanges qui auraient de quoi faire mûrir l’esprit d’ouverture. Waititi, enfile donc l’uniforme du Führer, Adolf Hitler, mais n’embrasse pas le sentiment de terreur derrière le personnage. Ses apparitions sont d’ailleurs minimes et ne sont pas toujours pertinentes, si ce n’est servir l’intérêt comique, dont il faut parfois laisser passer pour enfin entrer dans le vif du sujet. Mais la présence d’un autre idéal rend justement cette hallucination peut efficace et pertinente, car un seul modèle aurait suffi et ce n’est pas celui du moustachu. Elsa (Thomasin McKenzie) est une Juive rescapée, qui rappelle énormément Anne Frank, sorte d’hommage au fardeau d’un peuple martyr. De plus, elle constitue un catalyseur fraternel et romanesque, chose qui manque éperdument à Jojo, solitaire et peu convaincu des bienfaits du nazisme. Mais ce n’est pas pour autant qu’il est aisé d’en comprendre les nuances et le film semble en réalité s’adresser à un public plus mûr que son protagoniste principal, qui enchaîne les bêtises morales au détriment d’une éducation droite et volée par un Reich rempli de clichés.


Très loin du prestigieux “The Dictator” de Chaplin, “Jojo Rabbit” se révèle malgré tout être un divertissement habile et intelligent dans ses propos, mais dans la démarche, c’est autre chose. L’émotion est construite selon une narration bien ficelée, mais qui n’aura pas toujours l’impact attendu à l’arrivée. En pensant aux représailles, il faut donc accepter quelques cicatrices pour en apprécier le visage derrière, alors que c’est la conscience le principal sujet. Le récit défile sans doute trop vite par moment ou s’étale sur des représentations que l’on amène afin de combler une transition ou un cahier des charges. Cela se sent et cela a eu des conséquences. Et s’il faut retenir du bon dans ce récit qui éparpillent ses shrapnels, rappelons que c’est l’initiative qui pousse paradoxalement le spectateur à se détacher de l’œuvre et de l’Histoire, afin de trouver les bonnes réponses dans cette guerre qu’il n’a pas connu et dont il n’aimerait pas non plus voir son reflet à la maison. Outre les licornes, les visites SS et la paranoïa décomplexée, le film assume son statut d’observateur alors qu’un acteur se tenait juste là, derrière l’écran, les émotions avec.

Cinememories
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le 9 janv. 2020

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