Comment raconter encore une fois l’horreur de la pensée nazie et de l’endoctrinement des enfants ? On a déjà eu Le Tambour et Le Ruban blanc (même si celle-ci est centré sur la 1ère guerre mondiale), qui font le parti-pris du sérieux et du dramatique. Taika Waititi se rapproche quand à lui de Chaplin, et choisit de décrire un environnement malsain par le biais de la fable satirique et candide, avec les codes cinématographiques de son temps proches de ceux de Wes Anderson, lui aussi grand conteur.


Et donc qu’importe que nous ne sachions pas vraiment où se situe l’action, où que la réalité historique n’est pas vraiment respectée. Jojo Rabbit joue un numéro d’équilibriste fragile entre morceaux authentiques et uchronie, mélangeant la pop-culture moderne (de la musique au langage) à l’Allemagne de la fin de la guerre, dans une ambiance tiraillée entre glorification du Reich et paranoïa meurtrière. On note le même équilibre fragile pour les acteurs, qui livrent tous une prestation sublime, entre retenue et excès, entre amusement et sérieux.


Taika Waititi décide de faire un film à hauteur d’enfant et ne va jamais déroger de cette ligne, ce qui lui permet de livrer un film accessible — parfois un lourd dans l’explication de certains enjeux, où réalité se mêle aux fantasmes, la beauté à la cruauté. Avec ce partir-pris, le réalisateur peut également augmenter l’absurdité des situations, et il est clair qu’il s’amuse à fond dans son rôle d’Adolf cabotin, ami imaginaire entre figure paternelle et conscience vicieuse. Je me demande si l’attrait de ce rôle n’aura pas été le point de départ du projet pour Waititi.
Au delà de l’endoctrinement subi, c’est également la relation père-fils, mère-fils et surtout celle entre Jojo et Elsa qui est intéressante dans le film, et qui renferme le plus de subtilité. C’est au travers des évolutions de ses relations, parfois tragiques, parfois gracieuses, que Jojo, 10 ans, découvre ses émotions et aussi un sens de la réflexion.


Et oui, je comprend que le film puisse déplaire, car en simplifiant les enjeux, en poussant l’absurde et la caricature, Jojo Rabbit se distancie parfois trop de son sujet. Les jeux d’enfants se mélangent au jeux d’adultes et le film accuse plusieurs faiblesses. Je retiens comme dans de nombreux films américains la manichéisme de la « libération » des villages allemands par des GI joyeux brandissant leurs drapeaux. Le film aurait dû garder sa subtilité de ton jusqu’au bout plutôt que d’associer la prise de conscience de son héros de 10 ans au ralliement à l’iconographie américaine, célébrant en danse une forme de découverte de l’American way of life.


De la même manière, s’il est très divertissant de se moquer de l’absurdité de certains personnages, comme celui incarné par Rebel Wilson, de la crédulité de Yorki (excellent Archi Yates) et que les frasques du duo Rockwell-Allen ou encore l’apparition guindée de la Gestapo sont hilarantes, il est un peu malsain d’oublier qu’au-delà de la caricature ces représentations ont un fond de vérité, et que l’outrancier tend à effacer pour le spectateur la véracité de l’abject.


En résumé si le choix de la satire et d’une réalisation définitivement tournée vers le spectacle voire la rigolade permet de faire comprendre à tous les promesses insidieuses et l’endoctrinement extrémiste pour les jeunes comme pour les moins jeunes, Jojo Rabbit atteint également les limites de l’exercice, en oubliant notamment une morale à la fin — attention qui dit morale ne dit pas moralisateur, on peut tout à fait rappeler un message sérieux sans pour autant détruire le partir-pris satirique.

AlicePerron1
7
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le 9 févr. 2020

Critique lue 302 fois

Alice Perron

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