Le petit nazillon au coeur de lapin ! Une jolie fable façon "le nazisme expliqué aux enfants"

Vers l'âge de 10 ou 11 ans, l'âge de Jojo (le héros du film), mes filles avaient été étonnées de lire, au centre mémorial d'Oradour-sur-Glane, que si tout un peuple - ein Volk - avait pu être à ce point endoctriné, c'est parce que l'endoctrinement commençait tôt. Elles avaient dit : en somme, les jeunesses hitlériennes, c'est comme un camp de scouts, avec un mignon petit uniforme, des chants en choeur, des épreuves sportives en plein air et du catéchisme. Ben oui...
L'embrigadement de la Jungvolk selon l'ubuesque Taika Waititi, c'est très schématiquement un adorable petit garçon blond (le très bon Roman Griffin Davis qui ressemble physiquement pas mal au héros du "Tambour" de Schlöndorff) avec un crabe dans la tête : oui, car le petit Jojo entend la voix d'Adolf, son ami imaginaire, le voit et lui parle. Et sur cette bonne idée de mise en scène, toute la première partie du film fonctionne assez bien : Jojo, qui craint de ne pas être intégré chez les bons petits nazis, confie ses doutes à son ami, assis, avec sa mèche, sa moustache, sa croix gammée en brassard, sur le lit du gosse. Et c'est vraiment drôle ! On ne se lasse pas de voir charrier les nazis. Et puis Adolf, c'est Taika Waititi lui-même, qui se la joue dictateur mi-pôte mi-mauvais génie sur un curseur entre Chaplin et Gérard Oury (Günter Meisner dans "L'As des as" : "Ach, vous m'avez tapoté la joue !").
Dans le camp de Jojo et ses copains, c'est donc la folie douce, sous la houlette d'un capitaine borgne, ex de la Wehrmacht tombé dans la désillusion - génial Sam Rockwell - On saute, on danse, on crie, on se prend des grenades en pleine figure, sur le "I want to hold your hand" des Beatles. Le parallèle entre l'embrigadement idéologique et l'hystérique Beatlemania est plutôt juste...c'est le nazisme bon enfant !
Mais qu'il est dur pour un jeune garçon au coeur de lapin de devenir un bon aryen !
Surtout quand il se rend compte que sa mère (lumineuse Scarlett Johansson) cache dans leurs murs une jeune orpheline juive (Thomasin MacKenzie en Ann Frank). L'amour entre deux enfants ne connaît pas de barrières idéologiques. C'est ce que veut montrer la deuxième partie du film, où l'on assiste progressivement au désendoctrinement de Jojo jusqu'à l'exorcisme final : l'expulsion d'Adolf hors de la tête du gamin se matérialise littéralement par une défénestration parodique (qui m'a immanquablement fait penser au film de Friedkin).
Toutefois, malgré de jolies scènes - comme celles, touchantes, où les chaussures délacées de sa mère entrent dans le champ de vision de Jojo, où Jojo et sa mère font du vélo (Scarlett est presqu' aussi belle à vélo que Romy dans "Le Vieux fusil"), où la mère de Jojo déguisée en père-Chaplin danse avec lui - Waititi a plus de mal à trouver le juste dosage entre la farce déjantée et l'émotion, pour faire surgir, comme ses grands prédécesseurs, la poésie de l'horreur et de l'absurde et s'emparer vraiment du sujet. La deuxième partie tombe souvent dans le mélodrame ou la lourdeur. Il n'est pas non plus facile de faire rire des juifs. Bien sûr, on est à hauteur d'enfant, mais Bénigni y réussissait mieux dans "La Vie est belle". Adolf finit par être moins drôle voire agaçant. Il faut être un grand clown pour marcher sur le fil du rire et de la gravité.
Un bon moment de détente à ne pas bouder quand même. Et puis rien que pour ce "Heroes" de Bowie en allemand... Je me demandais toutefois si les producteurs donneraient aujourd'hui sa chance à un film comme "Le Tambour" de Schlöndorff, film trauma de ma jeunesse que j'évoquais plus haut, un "Jojo Rabbit" moins édulcoré, plus culotté, plus corrosif, une fable sur l'enfance meurtrie par le nazisme qui traite vraiment le sujet. C'est sûr que le Schlöndorff est une fable pour les adultes, quand le film de Waititi est produit par une filiale de la TCF rachetée par Disney.

Sabine_Kotzu
6
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le 5 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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