La vie est une comédie dont il vaut mieux rire. Sage, le sourire est sensible ; Fou, le rire est insensible, la seule différence entre un fou rire et un rire fou, c’est la camisole !



Avec le Joker on est devant une œuvre d'ampleur réellement importante. Un film totalement insoupçonné à l'aspect invraisemblable explosant les codes préétablis par les films de super-héros d'usage au format familial tout public dans une approche bon enfant et politiquement très correcte. Avec ce titre on assiste à un réel renouveau du genre comme l'avait été à l'époque Watchmen, cette fois-ci dans une conduite moins comics pour se rapprocher d'un grand film classique sans pour autant desservir le support original.


Le cinéaste Todd Phillips réalise là son meilleur film, n'ayant pas peur des mots un chef-d'œuvre. Ce long-métrage pourrait être salvateur tant il est d'envergure, mais encore faut-il qu'il arrive à faire un gros box-office (je croise les doigts), chose dont je ne suis pas vraiment sûr tant il emprunte un chemin à l'opposé de ce que l'on nous sert depuis des années. Pas de clin d'œil facile, ni gratuit, ici on laisse place à l'histoire et son contenu artistique.


Un récit d'une maturité édifiant décrivant un homme face à un système conformiste pourri de l'intérieur où ceux ne rentrant pas dans le moule sont traités comme des parias, où les minorités des riches écrasent dans l'indifférence les plus pauvres, et où les médias ne sont finalement là que pour servir de garde-fou à toute cette structure par des divertissements illusoires. Un propos social marquant tant il est en parfait écho avec notre société actuelle, ce qui favorise notre empathie autour de ce personnage improbable.


En découle un portrait dérangeant et insolite du Joker nous plongeant dans les tréfonds de son âme tourmentée et torturée dont il est dangereux de s'approcher. L'implication du public est tout du long sollicité et mis à rude épreuve tant l'intimiste de l'esprit fou du Joker nous entraîne vers des situations moralement abjectes. Pourtant pas une fois notre empathie à son égard tombe. On en vient même à le plaindre et ça c'est fort.


Joachim Phoenix est absolument incroyable ! Une interprétation hors du commun ! C'est très simple, j'ai rarement vu une telle incarnation. Très honnêtement, s'il n'obtient pas l'Oscar du meilleur acteur pour ce rôle c'est à n'y rien comprendre. L'investissement du comédien est extraordinaire, entre sa perte de poids phénoménal, ce rire absolument dérangeant symbolique de son mal incontrôlable, cette prestance, ce charisme, cette gestuelle tellement poétique et pleine de sens, c'est juste dingue. Il est bluffant de crédibilité. Une performance extraordinaire !


Joachim Phoenix s'approprie le rôle, délivrant une performance aussi perturbante que poignante dans une dramaturge terriblement nuancée, nous mettant plus d'une fois à mal. Aussi éclatant que sinistre, admirable qu'effrayant, humain que monstrueux, larmoyant que provocant. Il est le Joker ! De sa performance une tension atmosphérique remarquable se dégage de lui, aussi bien que dans la dramaturgie et l'apitoiement qu'il nous procure. Un contraste renversant.


Heath Ledger dans The Dark Knight est incroyable pour sa psychopathie, son esprit anarchiste et bien entendu son incarnation par le défunt comédien. Néanmoins, ici nul besoin de confronter les deux versions du Joker tant la conduite, l'esprit, la forme, le fond et le but recherché sont à l'opposé.


Artistiquement de haut niveau, dans une texture année 70 rappelant des chefs-d'œuvres d'époques sans pour autant vouloir jouer sur la nostalgie ni emprunter ce thème. Un concept avant-gardiste et contemporain pourvut d'une technicité sublime dans un contraste très nuancé empli de poésie autant dans sa forme que son fond. Une mise en scène distinguée où chaque plan résonne parfaitement avec le symbolisme d'une situation, le tout magnifié par un jeu de couleurs et de luminance efficace. Un visuel cinématographique pour grand film.


Nombreuses de séquences incroyables sont à dépeindre. Que ce soi dans les dérives fantasmées du Joker, les violentes tueries, l'intensité des séquences, la transformation nonchalante par le basculement de l'acceptation de celui-ci, jusqu'au sens malgré lui idéologique qu'il dégage lui offrant finalement la meilleure des scènes dont il pouvait rêver. Clairement on assiste à quelque chose de grand.


Il me paraît évident que le Joker a tué Zazie Beetz et sa fille, une autre scène insoutenable. La séquence de fin avec Robert De Niro est titanesque, la révélation du Joker au monde entier ainsi que la scène où il se réveille sur le capot de la voiture pour se voir accepter tel qu'il est par la ville se mettant à danser tient du génie.


Gotham visuellement autant que symboliquement, dépeint parfaitement un monde corrompu et putride où la classe sociale est écrasée, qui plus tard deviendra la cour de récré du Batman. De tous les Gotham que j'ai pu voir en série live ou film, c'est certainement celle-là qui m'a le plus marqué. Un décor fort amenant une perception claire du mal qui ronge cette cité. Après ce film, (même si les deux longs-métrages n'ont rien à voir) on se dit que finalement le justicier aurait dû dans Batman Begins laisser Ra's al Ghul éliminer Gotham de sa population. Je vous dis qu'il a du boulot le Batsi.


CONCLUSION:


Warner a peut-être foiré son univers étendu, mais fort est de constater qu'avec ce film le studio a créé un nouveau genre grandement efficace. La réponse à ceux voulant plus que des films faciles, mais encore faut-il qu'ils arrivent à exploiter convenablement le filon. Voilà ce qui arrive lorsqu'on laisse un réalisateur libre de ses mouvements sans cahier des charges à suivre. J'imagine une multitude de films dans cette mouvance intimiste tous dans un attrait solo sans connexion, réalisés par des cinéastes de talent. Quel pied ce serait autant artistiquement que divertissement et puis réhabiliter un peu le niveau actuel du cinéma super-héroïque ferait un bien fou.


Un grand film dans la plus pure forme classique du cinéma convoquant le meilleur par le meilleur.

B_Jérémy
10
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le 5 oct. 2019

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