Un Phoenix qui laisse sans voix pour une oeuvre éprouvante et magistrale, violente en tous points.

Ce film fera date c’est sûr et certain pour de nombreuses raisons et la principale étant qu’on n’a jamais vu de long-métrage adapté de comics de cette qualité. C’est noir, c’est sombre, c’est désespéré, c’est nihiliste, c’est effrayant et cette œuvre parvient à réaliser un état de lieux de notre monde et donc de l’humain impressionnant et tout à fait réaliste. Même la trilogie de Nolan sur Batman passerait presque pour du Disney à côté de ce magistral « Joker ». De toute manière, bien que ce personnage et son essence soient issus des films des comics et par ricochet des films de super-héros et super-vilains, on n’est pas du tout dans la veine de ce type de productions, souvent des blockbusters, mais bien dans un drame psychologique qui sonde la folie humaine dans ses pires abysses. Et en prenant comme personnage cette icône de méchant qu’est le Joker, Todd Phillips a eu tout bon. Lui qui vient de la comédie potache et n’a réalisé que des films à tendance comique ou légers mais néanmoins souvent réussis (la trilogie « Very Bad Trip » ou « War Dogs ») effectue un énorme virage avec ce projet. Mais pas dénué de logique puisque l’humour et le rire sont au centre du film d’une certaine manière. Ces notions s’avèrent une composante intrinsèque du personnage d’Arthur Fleck alias le Joker dans sa progression psychique et l’homme qu’il aurait voulu être tout comme celui qu’il va devenir.


Il n’y a pas à lésiner : cette œuvre, qui coupe avec tout un pan de la culture cinématographique actuelle et ses univers partagés, est excellente et maîtrisée de bout en bout. Tout juste lui reprochera-t-on peut-être un petit quart d’heure de trop et des seconds rôles qui semblent fades en comparaison de l’incarnation littéralement monstrueuse de Joaquin Phoenix dans le rôle-titre. Il est de tous les plans et sa composition du super-vilain est totalement effarante de perfection. On ressent autant d’empathie que d’effroi devant cet homme et les mimiques qu’il a créées pour le personnage, sa démarche, son corps décharné et surtout ce rire totalement hallucinant et terrifiant feront date dans l’histoire du cinéma. Pourtant, après les compositions dans ce même rôle de Jack Nicholson, bonne mais plus théâtrale, et surtout celle mémorable d’Heath Ledger (à ne finalement pas comparer avec celle de Phoenix puisque dans une vision bien plus abstraite et nihiliste du mal absolu), il semblait difficile de passer après et de proposer quelque chose de nouveau (on oubliera le Joker rococo et sacrifié de Jared Leto dans le tristement décevant « Suicide Squad »). Mais l’acteur a trouvé ici le rôle d’une vie dans une carrière déjà bien remplie et il va prendre l’Oscar en février prochain en survolant la concurrence annuelle de loin (sauf surprise d’ici la fin de l’année). C’est le genre de composition extrême, qui ne souffre d’aucune critique et qui reste ancrée dans les mémoires cinéphiles. La folie avait rarement été montrée de manière aussi subtile et évidente au cinéma.


Mais ce n’est pas tout. Deux autres choses font voler ce « Joker » très haut. D’abord la mise en scène de Phillips avec cette photographie jaunâtre et cette patine vintage qui donnent un aspect sépia au film collant parfaitement au personnage. Mais davantage, c’est la manière dont Gotham City est représentée. Tout comme le personnage du Joker, elle est transfigurée. Loin de l’aspect gothique et baroque de l’excellente série éponyme ou des films de Burton, Phillips la rend gigantesque et dépressive. Aspirant ses habitants d’un appétit vorace dans son gouffre putride. Une ville gangrénée par la violence, en pleine déchéance, en phase terminale comme rongée par le cancer du mal. De l’immeuble où vit Arthur Fleck en passant par un Arkham plus réaliste mais effrayant ou à des rames de trains insalubres, on nous donne à voir une mégalopole monstrueuse dont l’horreur visuelle transpire à travers l’écran. Puis il y a ce sous-texte social fort qui montre, en parallèle avec notre monde contemporain, le fossé de plus en plus criant entre riches et pauvres et la révolte qui gronde. Ce côté un peu pamphlet anti capitaliste et belliqueux atteint son paroxysme dans le dernier tiers du long-métrage, glaçant et magistral, dans sa violence sèche comme dans ce qu’il sous-tend. « Joker » est un film fort et marquant qui parvient à établir un pont entre une icône de comics et notre époque de manière intelligente. Chapeau ! On en serait presque à rêver que chaque vilain que compte l’univers de Batman ait un film dédié de ce calibre.


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JorikVesperhaven
8

Créée

le 4 oct. 2019

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Rémy Fiers

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