J'étais sceptique mais le résultat est là : on a une oeuvre qui nous roule dessus tel un rouleau-compresseur anxiogène, intense, intimiste et ce sans ne jamais sombrer dans la surenchère ou le spectaculaire gratuitement. Le film se contente de tenir son propos jusqu'au bout sans jamais dérailler. S'il est un peu tôt pour crier au chef d'oeuvre ou à une révolution du genre, Joker se tient assurément comme l'un des films de l'année porté par une composition originale juste, viscérale, des performances criantes de sincérité et une photo captant l'atmosphère en putrification d'un Gotham City à la dérive.
Le traitement de l'univers DC
Il surprend par son respect et sa prise d'initiative dans la relecture de personnages ou événements bien connus des fans qui sont ici ré-approprié avec intelligence au profit d'un scénario politique - à contrario du personnage, apolitique et symbole d'une lutte qu'il ne cherche pas à mener par conviction -. Ce parti pris donne une saveur particulière et unique à ce "one-shot" bien éloigné d'un Killing Joke tout en y faisant écho.
L'ombre de Scorsese
Après les mauvaises langues pourront toujours s'attaquer à l'originalité du film par ses nombreuses ressemblances à un certain Taxi Driver dont le film assume y puiser ses inspirations et par la même occasion ses aspirations, il les revendique. Mais ce qui est assez grisant c'est qu'il le fait sans esbroufe et malhonnêteté, de manière assez humble et juste au point qu'on en oublie qu'il a bénéficié d'un budget estimé à tout de même 55 millions de dollars (c'est en dessous des dernières productions DC mais tout de même).
Alors c'est vraiment un anti-blockbuster ?
Parler "d'anti-blockbuster" tousse c'est un peu fort (surtout étant donné les retombées économiques que le film risque de brasser) mais il prend des risques en peignant un univers ou la violence physique et psychologique nous est introduite de manière frontale, dure, sans glamour, et à la manière d'un Taxi Driver qui l'inspire dans tous ses aspects (traitement de la vile, structure narrative et portrait d'une solitude qui se meut en folie meurtrière etc.) peu nombreux sont ceux qui risquent de rester de marbre face à cette plongée torturée au coeur d'une folie qui nous touche, nous horrifie, et c'est tant mieux, car c'est quand même assez rare pour être surligné de voir une oeuvre aussi radicale et hors des sentiers battus ratisser des publics aussis variés.
Oh et pour évoquer directement l'aspect qui reste au centre du marketing et de l'attention : Joaquin Phoenix y est somptueux, maladif, habité, tout en évitant de cabotiner et de surjouer. Fait surprenant d'ailleurs le film ne se repose même pas sur son interprétation, gravitant autour de celle-ci avec retenue et recul pour offrir une oeuvre plus vaste et aussi plus solide que je ne l'aurai pensé. C'est sûrement là que réside son plus grand tour de force.