Arthur Fleck, king of tragedy...
On attendait énormément du Joker de Todd Phillips : d'une part parce que le film a fait couler beaucoup d'encre des deux côtés de l'Atlantique ( avec succès public, critique et polémique à l'appui...) et d'autre part en raison de la densité psychologique intrinsèque au personnage-titre et de sa place dans l'Histoire du Septième Art. Après le clown cabotin et grimaçant campé par Jack Nicholson dans Batman de Tim Burton et le gangster barbare et sociopathe incarné par Heath Ledger dans The Dark Knight de Christopher Nolan c'est au tour de Joaquin Phoenix d'interpréter le rôle du pire ennemi de Batman alias Bruce Wayne, l'acteur apportant une réelle sensibilité au personnage du Joker tout en appuyant particulièrement sur son caractère incompris, marginal voire désaxé...
Première évidence de ce Joker selon Todd Phillips et Joaquin Phoenix : la richesse psychologique de l'antihéros sus-cité est pratiquement indiscutable, l'acteur et le réalisateur livrant un édifiant film-portrait respectant énormément les faiblesses et les antécédents familiaux de la mythique figure d'Arthur Fleck... Un retour aux sources mettant volontairement et ostensiblement le personnage de Bruce Wayne sur un plan quasiment anecdotique, principalement présent pour témoigner des enjeux psychologiques et des motivations (auto)destructrices du Joker. En dépeignant le clown sardonique comme un homme vulnérable souvent proche du loser affichant un rire avoisinant l’énergie du désespoir Joaquin Phoenix montre avant tout un inadapté pathétique à l'émotivité désorganisée : sa prestation tient de la haute voltige.
Assez classique dans sa conduction mais non étranger aux audaces formelles Joker réinvente la dimension socio-politique inhérente à la ville de Gotham City, y allant de son commentaire lucide ( et plus que jamais contemporain ) sur la haine des riches et l'abandon social des laissés-pour-compte. On peut également y voir un parallèle avec le film-outsider de Martin Scorsese La valse des pantins en la présence de Robert de Niro dans un rôle significatif - champion du stand-up, du consensus comique et de l'hypocrisie sociale que campait son acolyte Jerry Lewis dans le film de 1983.
En véritable miroir sociétal Joker est un film à thèse qui parvient presque à dépasser son sujet, s'en tenant honnêtement à son intitulé tout en suggérant avec un certaine prescience les affres du Mal contemporain en s'infiltrant dans le malaise et l'inconscient collectif actuel. Un succès en grande partie mérité, toutefois un rien décevant dans ses dernières minutes car quelque peu convenu voire standardisé. Très bon tout de même.