Il était difficile de passer après la prestation magistrale de Heath Ledger. Dans The Dark Knight, cet acteur avait totalement redéfini l'un des personnages les plus iconiques de la pop culture, le Joker. Avec son jeu, il avait su capter l'essence même de la folie et du chaos qui caractérisent le personnage. Un être noir et incompréhensible pour le reste des hommes.
Pourtant quand le nom de Joachim Phoenix est sorti du chapeau pour reprendre le rôle, les contestations se sont tues. Il faut dire que tout ce que touche cet acteur se transforme en or. A chaque nouveau personnage, son implication est totale. Sa transformation physique pour le rôle du Joker va d'ailleurs en témoigner : malingre, le teint cireux, bossu. On retiendra surtout ses deux rires glaçants, celui de la maladie, celui du cynisme.
L'histoire prend donc place à Gotham bien avant le règne de la chauve-souris. La situation politique est critique et Thomas Wayne, représentant d'une élite déconnectée des réalités sociales se déclare candidat pour la Mairie. Arthur Fleck est quant à lui un humoriste fraîchement sorti de l'hôpital psychiatrique qui tente de se réadapter en acceptant de petits jobs de clown.
Dire que la rencontre entre la société moderne et Arthur Fleck va mal se passer serait un euphémisme. Le clown triste va tour à tour être victime de chacun des maux qui touchent la ville : pauvreté, vols, violences, mensonges, défiances, injures. Puis pour finir mépris des puissants. Alors que sa maladie mentale le ronge, la souffrance causée par la société va finir d'achever Arthur. Le clown va alors s'abandonner à ses plus vils instincts, d'abord pour se défendre, ensuite par pur plaisir.
La naissance du Joker suit la même évolution qu'un papillon sortant de son cocon. D'abord Arthur est un personnage triste, incompris et fragile, puis petit à petit il va s'enfoncer dans une comédie des plus noires. Le clown triste va devenir un clown joyeux. S'affirmer dans le crime et la folie va permettre au Joker de déployer ses ailes et de flirter avec la légende aujourd'hui connue de tous.
L'une des grandes forces de ce film, hormis la performance exceptionnelle de Joachim Phoenix, réside dans sa photographie. Le film est beau, certains cadres collent à la rétine et les ambiances sont parfaitement retranscrites. Ce travail d'orfèvre est aussi propice au développement de symbolismes chers au réalisateur. Cependant on va avoir affaire à un véritable matraquage de symboles, des plus subtils aux plus pesants. Le réalisateur Todd Phillips veut trop prendre le spectateur par la main en expliquant parfois grossièrement ce que la subtilité de la scène précédente avait déjà instillé dans les esprits. C'est finalement un très beau film de gros sabots qui perd ainsi en qualité narrative.
On saluera tout de même cet essai et surtout la subversivité de l'oeuvre, qui pourra être jugée trop manichéenne, mais qui a le mérite de renverser les idées reçues. Et si le Batman n'était finalement que l'héritage malsain d'une élite régnant sur une société malade?