J’avoue ne pas connaître grand-chose à l’univers DC (hormis la série des années 80 et la trilogie de Nolan, je n’ai pas vu ou lu beaucoup en la matière) et ce n’est donc pas par fanatisme que je suis allée voir ce nouvel opus consacré au Joker.
Au sortir de ce film, je ne saurais trop quoi dire sur mon ressenti. Le film est bien, la photo est léchée, la musique impose l’ambiance, le scénario est intéressant, Joaquin Phénix joue parfaitement bien et il y a quelques scènes qui méritent le coup d’œil, mais... il y a un je-ne-sais-quoi qui fait que je ne pourrais pas le classer comme l’œuvre du siècle.
Déjà, parce que le film n’est pas exempt de quelques longueurs. Philips a pris son temps pour suivre la dégringolade aux enfers de son héros, appuyant bien comme il faut pour montrer que Arthur Fleck a une vie merdique, en plus d’être un souffre-douleur de compète. C’est d’ailleurs le pitch du film : comment un habitant insignifiant de Gotham va devenir le méchant le plus iconique de la saga Batman après avoir passé une mauvaise journée (enfin, plusieurs, pour être honnête) ? Fleck se prend tartine sur tartine en deux-trois jours à peine, ce qui va le faire étonnamment passer de carpette invisible à instigateur d’un soulèvement populaire malgré lui.
Car finalement, le parti pris dans ce Joker, c’est qu’on a là un personnage qui ne demande qu’à capter un peu la lumière des spots quelques instants (avoir son quart d’heure de gloire), mais qui se viande lamentablement à chaque fois qu’il commence à entrevoir une lueur lointaine. Un homme squelettique, sans carrure et doté d’un problème mental qui le pousse à rire de manière incontrôlée lors d’un stress ou alors qu’il est censé pleurer. Un homme déjà pas bien haut placé dans la société et qui va perdre peu à peu les quelques éléments de sa vie qui le faisait encore un peu tenir debout (son boulot, son assistante sociale, son rêve, sa mère…). Un homme qui s’est fait marcher dessus toute sa vie et qui, un soir, réagit enfin. Une réaction qui va mettre le feu aux poudres et provoquer un incendie dantesque dans un Gotham à l’agonie, crasseux et envahi par les rats.
Une réaction en chaîne pas du tout prévue ni anticipée par ce Fleck misérable et pitoyable, qui s’en dédouane même au moment de passer devant son « juge », alors qu’elle est à l’origine de la scène emblématique de la naissance de Batman. Ici, le Joker est dissocié jusqu’au bout de l’essor de la chauve-souris. Bruce Wayne n’est qu’un gamin sans intérêt pour lui à cet instant de l’histoire. Il ne se préoccupe que de lui, faisant enfin exploser sa colère – rentrée jusqu’alors – en s’en prenant exclusivement à ceux qui lui ont fait du tort.
Et, contrairement au Joker campé par Heath Ledger (qui est loin de m’avoir plu), c’est exactement ce qui m’a plu chez celui de Phénix. Au-delà du fait qu’il a le physique adéquat pour le rôle, le Joker de Philips est juste. Il ne dégomme pas des gens à tout va pour mettre le boxon en ville et provoquer Batman. Non, il n’attaque et ne tue que les gens qui s’en sont pris à lui ou qui lui ont porté préjudice, épargnant tous les autres (contrairement à « Ledger » qui dézinguait gratuitement à tout va, parce que… parce que). Ce Joker n’est dangereux que pour ceux qui l’ont sous-estimé ou se sont moqués de lui, pas parce qu’il prend son pied à faire gicler de l’hémoglobine (à la limite, on a presque l’impression que ça le soulage durant un bref instant, et c’est tout).
Maintenant, ce film est tellement centré sur le Joker et sa descente aux Enfers, tellement ancré dans la réalité, que l’histoire pourrait très bien être transposée dans un univers totalement différent. Que Thomas Wayne aurait pu être remplacé par n’importe quel politicien aux dents longues briguant un poste haut-placé en dénigrant les petites gens. Que le Joker aurait pu prendre n’importe quel autre « nom de scène » sans que cela ne choque. Limite, le passage de l’assassinat de Thomas et Martha Wayne est dispensable (1, parce qu’il est incohérent d’aller au ciné quand c’est l’émeute dehors et 2, une simple suggestion de l’incident aurait suffi).
D’autant plus que, à part cette scène qui va droit au but et affiche clairement la couleur, tout le reste du film baigne plutôt dans le sous-entendu, le sous-texte et l’interprétation libre. Ce Joker a tellement d’imagination qu’on finit par ne plus savoir ce qui est vrai et ce qui est fantasmé. Si j’avais anticipé le coup de la voisine, je me suis laissée prendre par la filiation avec Wayne (et tant mieux, parce que je n’étais pas partisane de cette idée). Au final, même l’apothéose qui voit enfin Joker déployer ses ailes n’est pas assurée d’être vraie (il y a quelques détails qui peuvent mettre la puce à l’oreille à ce sujet).
Et tous ces points mis bout à bout font qu’il est difficile d’imaginer une suite à ce film (ce qui ne me dérangerait pas, à dire vrai). Le film se veut si réaliste qu’il est impossible d’y voir débouler un gars déguisé en chauve-souris géante prêt à péter les mâchoires de tous les margoulins de Gotham. Tout comme il est impossible d’imaginer ce Joker famélique affronter un Bruce Wayne qui, de toute évidence, ne lui a rien fait et qui n’a qu’une renommée éphémère (voire inexistante). Donc, pour moi, ce film se suffit à lui-même.
Bref, Joker est beau, bien filmé, bien interprété ; il laisse à réfléchir et se tient tout seul comme un grand, mais il traîne en longueur, souffre de quelques lourdeurs et n’est rattaché à l’univers DC que par deux-trois bouts de Scotch mis ça et là. Mais ce film m’a réconcilié avec le personnage (ce qui n’était pas un mal) donc je vous conseille tout de même d’aller y jeter un œil.