Première Partie :


Suite à l’énorme succès de ‘’American Pie’’ en 1999, Hollywood se mit à produire du film débile pour ados, en veux-tu en voilà. En 2000, au beau milieu de cette vague peu passionnante du Teen Movie, débarque ‘’Road Trip’’. Bien que tout aussi con que les autres, il prenait néanmoins le soin de raconter une vraie histoire, avec un fond, une texture, et des personnages qui évoluaient. Au beau milieu d’un potache bien gras.
Loin d’être un grand film, ou un chef-d’œuvre, ‘’Road Trip’’ n’est pas un incontournable, mais de toute cette mode, avec ‘’Van Wilder’’, ‘’Harold & Kumar go to the White Castle’’, ‘’Loser’’, et le parodique ‘’Not Another Teen Movie’’, il fait partie des productions qui ne prenaient pas son ado de spectateur juste pour un abrutis sans cervelle. Proposant de petites réflexions sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, et la difficulté que ça engendre.
C’est avec ‘’Road Trip’’ que débute ainsi la carrière de Todd Phillips, un cinéaste sympathique, avec une formation dans le documentaire. Sa toute première réalisation remonte à 1993 avec ‘’Hated : GG Allin & the Murder Junkies’’. Retraçant la vie et la mort de GG Allin, une icône du punk hardcore, qui aimait s’enduire de son sang et partager ses matières fécales avec son public.
Phillips se spécialise par la suite dans des comédies avec plus (‘’Old School’’ en 2003) ou moins (‘’School for Scoundrels’’ en 2006) de réussites. Avant de rencontrer un succès international avec le délirant ‘’The Hangover’’ en 2009, qui connait deux suites pas dégueulasses, lui offrant surtout une légitimité en tant que réalisateur/auteur.
Cela lui permet en 2016 d’emballer ‘’War Dogs’’, une œuvre bien plus sérieuse et plus sombre, que ce qu’il propose habituellement. Il entame alors un changement de cap, et le jeune punk méprisé pour ses comédies farfelues, se révèle soudainement un vrai cinéaste de talent, capable de proposer une approche cinématographique autre que de la gaudriole, dont il a fait, avec succès, sa marque de fabrique.
À la suite de cela, Warner Bros. lui donne la possibilité d’approfondir un peu plus la nouvelle orientation prise par son cinéma, en lui donne carte blanche pour la mise en chantier d’un projet plutôt étrange, associé un temps à Martin Scorsese au poste de producteur (il se retire cependant très tôt du projet), concernant l’origin story de l’un des méchants les plus populaires du XXème siècle, l’antagoniste de Batman : le Joker.
Avec sa politique des auteurs, de moins en moins respectée, Warner a donc filé 55 millions de $ à Phillips, pour le laissé se dépatouiller avec tout ça. Co-écrit avec Scott Silver (scénariste de ‘’8 Miles’’ et de ‘’Fighters’’), ‘’Joker’’ est un objet rare qui en appel au bon souvenir du Nouvel Hollywood. Véhiculant la nostalgie d’un temps où ‘’cinéma’’ rimait encore avec ‘’audace’’, ‘’prise de risque’’, ‘’art’’ ou encore ‘’auteur’’. Une époque où les types qui faisaient des films avaient, en plus d’une vraie légitimité, une emprise presque totale sur leurs œuvres.
Avec son micro budget, il a coûté 250 millions de $ de moins que ‘’Justice League’’, et en a rapporté (au moment où ces lignes sont tapées) près de 400 millions de plus, ‘’Joker’’ était un projet à risque, une production sans filet. Car en plus de prendre comme personnage principal un gars déviant, antipathique, fou et dangereux, il vient réinventer son matériau de base, pour proposer de la nouveauté. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Depuis maintenant quelques années, nous sommes entrés dans une nouvelle ère cinématographique, dite du métamodernisme. Tout ce que nous voyons se base sur du préexistant, et la nouveauté se crée à l’ombre d’œuvres ou de modes aînés. Dans nos sociétés occidentales, peu de monde ignorent qui est le Joker. C’est l’antagoniste le plus célèbre de notre culture mondialisée. Comme le fût Moriarty à une époque.
Fût un temps, les adaptations cinématographiques se basaient sur des matériaux provenant d’œuvres du XIXème ou début du XXème siècle. Et il faut prendre en compte qu’aujourd’hui, le Joker a 80 ans, et trouve ses racines dans un autre siècle. Comme tout élément de mythologie, il appartient au patrimoine culturel de l’humanité. Et à partir de là il est possible d’en faire ce que l’on veut. Le parti prit de Todd Phillips est justement de convoquer l’ensemble mythologique du Joker, et le distordre de sa nature pop, afin de concocter une origin story en forme de pamphlet social. Avec ce que cela implique de qualités, comme de défauts, dont il n’est pas exempt. Ça reste un film.
Indépendant de son univers d’origine, dont des éléments sont utilisés pour l'ancrer dans la continuité d’une mythologie qui l’a vu naître, le personnage évolue en même temps dans une réalité altérée, celle des années 1980. Absolument pas fantasmées, loin des néons outranciers, et de la synthwave casse-tympans, les eighties présentées font plutôt froids dans le dos.
La reconstitution proposée est terriblement réaliste, qu'elle en appel au souvenir d'une décennie durant laquelle le nombre de laissés pour compte explosa. À mesure que les riches devenaient outrageusement de plus en plus blindés. Voyant le niveau de pauvreté augmenter à vitesse grand V. Il est alors facile de faire un parallèle entre cette Amérique d’il y a trois décennie, et celle d’aujourd’hui. Les années Trump étant idéologiquement proches des années Reagan, la nature parodique en plus, il reste en tête cette idée que l’histoire passe son temps à se répéter, pour ne plus être qu’une vaste blague. Et quoi de mieux qu’un réalisateur de comédies, mettant en scène un clown, pour témoigner de tout ça ?
‘’Joker’’ est ainsi une œuvre ‘’méta’’ en diable, usant d’une mise en abîme incroyablement riche, dont la principale thématique pourrait se résumer à la lutte universelle et intemporelle des ‘’pauvres contre riches’’. Mais par une dose mesurée de l’absurde, elle parvient à l’outrepasser, afin de témoigner du mal-être qui touche la majeure partie de la population, abandonnée à l'injustice d'un quotidien qui ne peut s’améliorer. Prisonniers d'une condition sociale qui ne permet pas, et ne permettra jamais, de s’élever au-delà. Et c’est avec le plus grand cynisme que sont semées les graines de la dépression, jusqu’à la moisson du non-retour. Lorsque la folie prend le dessus.
Le film de Todd Phillips n’en est pas pour autant une œuvre à message. Il reste constamment dans les clous de ce qu’il est, soit une adaptation d’un personnage de comics. Ne servant que de vecteur au portrait d'un malaise inhérent à toute les sociétés modernes. Mais il suffit d’allumer la Tv et de mettre BFM ou CNews pour voir que ça va mal. Et ‘’Joker’’ est ainsi juste une fiction temporelle, brassant des thématiques contemporaines, qui ont peu changées depuis les années 1980. Tout simplement du fait que nos sociétés ont très peu évoluées depuis.
Il n’est donc pas utile de chercher à tout prix un message caché, au cœur de la radicalité du ‘’Joker’’ de Todd Phillips, qui s’amuse (si j’ose dire) à faire évoluer sa créature. La même qui ne gênait personne dans ‘’Batman’’ de Tim Burton, et qui était vouée aux anges dans ‘'The Dark Knight’’ de Christopher Nolan. Jusqu`à 2019, le nihilisme du Joker n’avait jamais engendré quelques polémiques que ce soit. Car il a toujours été perçu pour ce qu’il est : un personnage de fiction.
Mais au lieu de porter les réflexions sur l’attitude borderline et discutable du personnage, qui ne fait que répondre à des conventions bien précises, l’intelligentsia garante de la bonne morale, comme celle qui défend un ‘’vrai’’ cinéma, préfère se voiler la face plutôt que d’affronter le portrait dégueulasse qui est peint de notre monde. Avec cette brutalité omniprésente, et une injustice plus que visible, à chaque coin de rues.
Il est ainsi plus facile de jeter l’opprobre sur un personnage aliéné, que de voir l’aliénation née de notre modèle sociétale malade, et d’une civilisation en déclin qui court à sa perte. Il est plus facile de remettre en question une ‘’pseudo complaisance’’ fictive, car jamais Todd Phillips ne met en scène le Joker comme un héros, que de remettre en question un monde impitoyable, cruel et violent. Au sein duquel nous passons notre quotidien.
Non, ce sont les individus détenteurs du pouvoir, ces élites fanfaronnes qui font et défont les lois comme bons leur semble, qui le rendent comme ça. Et non, les marginaux qu’ils pointent du doigt, où une population broyée petit à petit par un système en bout de course qui refuse de laisser la plce à autre chose, soumettant ses populations à un esclavage moderne, touchant toutes les strates d’une société pourrie jusqu’à la moelle. De là naît l’aliénation, et de là est engendrée la maladie mentale. Qui donne naissance à des types malsains et toxique comme ce Joker...


Deuxième Partie :


Les critiques les plus virulentes portées à l’encontre de ‘’Joker’’ viennent du fait que le personnage principal est un déséquilibré. Que la tournure du scénario en ferait une sorte d’anti-héros malsain. Un paumé qui comme seule solution à ses problèmes, se retourne contre l’ordre établi par l’expression d’une violence inconsidérée, lui permettant d’exister en tant qu’individu. Or, ce n’est absolument pas le propos du film.
Arthur Fleck est un homme qui subit au quotidien l’âpreté d’une société malade dans son ensemble. Ce monde ne lui offre aucune perspective d’avenir, et à sa condition de précaire s’ajoute le fait qu’il souffre d’une pathologie psychiatrique. Todd Phillips fait ici le choix d’explorer la maladie mentale, et la manière dont elle est perçue dans un environnement direct. Une condition psychologique est difficile à évoquer, à expliquer, et tout simplement à montrer. Elle ne se voit pas au premier abord, et nécessite sans cesse une justification, qui dans la plupart des cas peine à convaincre. Dès lors, le malade se trouve dans une position où il semble être en pouvoir de choisir d’être victime de sa condition, ou bien la combattre pour se soigner.
Dans le cas d’Arthur Fleck, dont la pathologie est bien identifiée, un rire glaçant et incontrôlable lorsqu’il est en position de stresse, il a un suivi psychologique. Sa maladie est reconnue, et lui-même cherche à aller mieux, pour s’en sortir. Mais inlassablement le monde qui l’entoure semble le rejeter, à travers une violence inouïe, qui le frappe sans cesse. Il prend des coups, et à chaque fois il se referme un peu plus sur lui-même, le plongeant inexorablement vers la folie.
Depuis maintenant environs dix ans, Joaquin Phoenix a fait des choix de carrière loin d’être inconscients, à travers lesquels il étoffe son jeu d’acteur, en approchant différentes facettes de la folie humaine. Il en a fait son credo, et développe ainsi à chaque nouvelle interprétation une nouvelle manière de décliner la folie à l’écran.
Ce travail s’est mis en place petit à petit, et il n’y a absolument rien d’étonnant de le voir enfiler la peau d’Arthur Fleck, avant de porter le costume du Joker, car ce rôle était écrit pour lui. Dès lors le personnage présent à l’écran renferme près d’une décennie d’expérimentation d’un comédien qui choisit ses rôles pour ce qu’ils sont, avant d’accepter un chèque. Une attitude devenue rare à Hollywood, et donc notable.
‘’Joker’’ c’est avant toute chose le film d’un acteur. C’est bien simple, Joaquin Phoenix porte tout le métrage sur ses frêles épaules. La mise en scène de Todd Phillips laissant par une maline sobriété toute la place disponible dans le cadre, pour capter le magnétisme d’un comédien au corps meurtri. Soutenu tout de même par une galerie de personnages secondaires, incluant une superbe performance de Robert De Niro. Comme ça faisait longtemps que l’on ne l’avait pas vu.
Omniprésent dans le récit, devant la caméra, dans le développement de l’intrigue, et dans le concept même du projet, Joaquin Phoenix/Arthur Fleck /Joker est magnifiquement terrifiant. Que ce soit mentalement, comme physiquement, le personnage apparaît comme un être des plus faibles, traversant l’existence comme un fantôme que personne ne remarque, perdu au milieu de la nuit, sous la pluie d’un Gotham plus gargantuesque que jamais. Et ‘’Joker’’ parvient vraiment à capter ce que peut être la folie, et à quel point elle peut être lancinante, abordée par moment par le biais inattendu de sa musique. Au-delà des splendides violons omniprésents, la Bande Originale de choix n’est en fait rien d’autre qu’une résonance de l’esprit de Fleck. La musique qu’entendent les spectateurs, est celle qui passe au même moment dans sa tête. Ce qui explique pourquoi le type se met parfois à danser seul, hors-contexte, dans un silence total. Dans sa tête, le silence n’existe pas. Cela a pour conséquence de plonger l’audience dans la psyché d’Arthur, et ses fluctuations.
De toute façon, ce qui est montré à l’écran l’est uniquement à travers le prisme de l’esprit d’Arthur Fleck. Le moindre parti prit, la moindre incartade à l’ordre moral voulue par nos sociétés contemporaines, l’horreur, l’expression du malsain, la violence, la terreur, comme un humour des plus sombres, sont déstabilisant mais ne correspondent en aucun cas à la démarche d’un réalisateur qui cherche à faire passer un message. Non, tout cela se passe dans la tête du Joker. Soit 2h dans les confins mentaux d’un sociopathe, aux premières loges d’une descente aux enfers.
Que ce soit lors de la poétique séquence d’introduction, où l’épique scène finale, nous sommes plongés dans sa psyché, sans aucune bouffée d’air frais. Ce qui fait que le film est lourd, anxiogène, parfois difficile à regarder, étouffant. Ainsi tout ce qui est montré à l’écran est naturellement biaisé. Ce qui est questionnable, borderline et indicible, ne provient pas du film en tant qu’objet subversif, ni d’un scénario en mode pamphlet, mais de la perception d’un personnage, et de son ressentir.
Il a été écrit beaucoup de choses sur Arthur Fleck, des analyses poussées allant parfois jusqu’à parler d’apologie des ‘’incels’’, cette mouvance de célibataires volontaires rejetant les femmes castratrices du XXIème siècle. Mais en fin de compte Fleck c’est juste un pauvre gars qui vit avec sa mère, comme il en existe des millions dans nos sociétés. Et ils ne sont pas tous dans la même situation mentale, et… C’est tout…
Il correspond également à une convention que l’on retrouve dans la culture populaire en général. C’est le Igniatus Reilly de ‘’A Confederacy of Dunces’’ par John Kennedy Toole, le Eddie Kaspbrak du Loser’s Club dans le ‘’It’’ de Stephen King, avec sa mère toxique. Mais c’est aussi Howard Wolovitz de la série ‘’The Big Bang Theory’’, et je pourrais aller jusqu’à citer Mr Herbert Bobolit, mon prof de techno quand j’étais en quatrième…
Mais incarné par un Joaquin Phoenix d’exception, qui devient réellement ce banal Arthur Fleck avec un naturel terrifiant, il prend une ampleur terrifiante, quasi-mystique. Et dérange, car lorsqu’il devient le Joker, le comédien s’efface totalement, et le personnage prend vie. Le travail fait sur la voix, sur le rire malsain qui ponctue plusieurs séquences, la démarche, ou une gestuelle qui permet de grands moments teintés d’une poésie macabre, force le respect. Joaquin Phoenix fait partie d’une race d’acteur de plus en plus rare, sans cesse dans l’expérimentation, se dévouant corps et âme à son art.
Avec ‘’Joker’’ il catalyse l‘inexorable dégringolade d’un esprit faible et malade qui ne demande qu’une seule chose : exister. Fatigué de ne pas s’en sortir, usé par l’injustice, inadapté au sein d’un monde de plus en plus complexe, auquel rien ne l'a préparé, il traverse telle une ombre fantasmagorique les décors déshumanisé d’un sombre Gotham au bord de l’implosion. Microcosme à peine déguisé de notre société à nous, la vraie, celle que l’on peut voir en mettant le bout de son nez dehors. Les sans-abris à chaque coin de rue, les bâtiments délabrés, et les routes défoncées, à mesure que la nature cherche à reprendre ses droits. Pourtant la ville s’étend, partout des grues poussent des sols, faisant germer des immeubles immenses, défigurant une faune et une flore qui perdent peu à peu leur place.
De plus en plus vastes, les villes avancent à mesure que la nature recule, au point de disparaître des espaces urbains mortifères et surpeuplés. Des forets de bétons et d’aciers, véritables prisons grisâtres et mal-odorantes, où les plus malchanceux qui n’ont pas eu la chance d’être bien-nés, vivotent au milieu de milliers d’histoires de vie différentes, où il n’existe qu’une seule forme de normalité. Qui n’est ni universelle, ni innée, mais qui est la seule récompensée.
Ainsi, durant le premier et deuxième acte de ‘’Joker’’, la ville joue un rôle primordiale, un personnage secondaire dont l’emprise sur Arthur Fleck est palpable. Illustrant une sorte de prison mentale qui participe à le renfermer dans son malheur, pour le conforter. Alimentant son mal-être d’individu qui aspire à mieux, mais n’en a pas les moyens. Où ne rencontre que des portes fermées, malgré ses ambitions.
Il passe d’ailleurs son temps à se projeter dans des situations sorties de son imaginaire. Comme avec le personnage de Murray Franklin. Un comique reconverti en présentateur de talk-show, qu’il personnifie comme un père de substitution. À aucuns moments Todd Phillips ne met en scène Arthur avec complaisance, pour justifier ses actes. Tout au contraire, il se fait simplement le témoin d’une réalité, altérée par l’esprit abîmé d’un homme en perdition, pour lequel l’institution, corrompue, a échouée.
Mais une fois de plus, il est plus simple de décrier les actions d’un personnage clairement malade, et le jeu d’un acteur pour qui la folie est un moyen d’expression sain. Pour se contenter de critiquer violemment l’œuvre d’un cinéaste qui a opté pour une neutralité radicale. Et ainsi rester en surface, au lieu d’explorer les thématiques riches et profondes d’un métrage dérangeant, par sa représentation nauséabonde du quotidien, qui pour une majorité de la population n’est plus une fiction.
Mais il est plus facile d’éluder la portée véritable d’un tel objet, plutôt qu’accepter de revoir un système injuste et cruel sur le déclin. Qui ne bénéficie plus qu’à une poignée de connards dont l’hégémonie illégitime n’est jamais remise en question par personne.
Qui plus est, ''Joker'' cartonne au box-office, et est ainsi vu par à un grand nombre de spectateurs. Malgré son interdiction à la partie la plus jeune du public. Et une chose est sûr, il ne peut laisser indifférent.


Troisième Partie (avec du spoil) :


Alors que le personnage d’Arthur Fleck disparaît peu à peu, laissant de plus en plus la place au Joker qui est en lui, le jeu de Joaquin Phoenix évolue lentement, faisant du personnage une silhouette fantomatique totalement décharnée. En plongeant dans une violence sèche et âpre, son alter-ego malsain monte en puissance, et l’emprise de Gotham recule. Sombre et pluvieuse durant les trois premiers quarts du film, lors du dernier acte, elle est soudainement ensoleillée.
Durant cette troisième et dernière partie, le métrage de Todd Phillips prend tout son sens, et l’heure et demi bizarre, malsaine, violente, qui n’est qu’accumulation d’humiliations envers Arthur Fleck, est ainsi justifiée. À partir du moment où il revêt le costume et le maquillage du Joker, Fleck est mort.
Son attitude et sa démarche changent et il devient littéralement une autre personne. Fort d’une assurance exacerbée, il embrasse pleinement la folie qui est en lui, cessant d’essayer d’être ce qu’il n’est pas. Stoppant l’ingestion d’une tonne de médicaments, prescrits par une institution médicale à la masse, qui par manque de moyens ne peut aider réellement les personnes qui en ont le plus besoin.
En s’acceptant comme individu de droit, et non comme employé, fils, patient, voisin, ou clown, il reprend possession de son existence. Rejetant toute la violence qu’il a accumulé au cours des années. Alors le film s’emballe, menant inexorablement vers un final au doux relent d'eschatologie, sous la forme d'un feu d’artifice anarchique. Vu par le biais du cadavre déambulant d'Arthur Fleck, et de la psyché malade du Joker.


[// \Attention c’est là que je gros spoil //\]


Après avoir tué l’homme idolâtré par Arthur Fleck, celui qu’il voit comme son père de substitution, dans une expression tordue d’un complexe d’œdipe constitué de toute pièce, l’homme avec qui il a grandi, en le regardant à la télévision, le Joker est arrêté. Puis débute toute la séquence avec les clowns qui retournent la ville, avant de le consacrer comme leur messie. Une scène dont se dégage une figure divinisée au possible.
Puis la séquence prend fin, et l’on retrouve Arthur à l’asile d’Arkham, en train de parler à une psy. Il rigole et elle lui demande pourquoi. Il répond qu’il pensait à une blague qu’elle ne pourrait pas la comprendre. Il est alors le Joker, sans maquillage, Arthur Fleck n’est plus, définitivement tué dans l’accident de voiture, qui de mon point de vue est lui aussi fantasmé.
Cette scène finale en anti-climax, vient soutenir l’hypothèse que toute la séquence précédente se passerait en réalité dans la tête du personnage. Durant tout le film il émet le souhait d’une reconnaissance, mais c’est un mauvais clown ringard, et un comique raté. Sauf son action dans le métro, qui en fait la figure de proue anonyme du mouvement des clowns, opposés aux riches, et à Thomas Wayne en particulier. Sauf qu’il précise bien qu’il n’est pas politisé, et ne soutient pas la révolte qui se met en place. pourtant il jubile en se projetant comme leur leader mystique.
Quatre éléments m’aiguillent sur la piste du fantasme. Et je pense que de toute façon, cette séquence dans la rue livrée à l’anarchie est faite pour se prêter au jeu de l’interprétation par chacun.


_ Premièrement, dans l’un des cinéma présents dans la rue livrée à la folie destructrice des clowns, un des films diffusé est ‘’Blow Out’’ de Brian DePalma. Une citation qui indique clairement l’inspiration ‘’Nouvel Hollywood’’ du métrage, qui ne cache pas non plus sa parenté avec l’œuvre de Scorsese, par exemple. ‘’Blow Out’’ est un film où toute l’intrigue est construite autour d’un événement, dont l’existence n’est pas claire. Jouant sur le faux-semblant, à travers le point de vue du personnage de John Travolta, autour duquel se construit le récit. En tant que héros on s’identifie à lui, et on partage donc sa vision des choses. Mais est-ce vrai pour autant ? Le film maintient une réponse concrète en suspens.


_ Deuxièmement, lorsque Joker est debout sur le capot de la voiture de flic, les bras en croix, après s’être dessiné un macabre sourire de sang, acclamé par des centaines de clown en colère, en arrière-plan, il y a l’affiche d’un autre film. ‘’Ace in the Hole’’ de Billy Wilder, avec Kirk Douglas, sorti en 1951, dans lequel le personnage principal est une ordure. Mais surtout, le film a pour thématique la création de toute pièce d’un scoop. Démontrant comment un journaliste manipulateur mal intentionné monte de toute pièce une histoire, au péril de la vie d’un homme. La présence de l’affiche de ce film jouant également sur le faux-semblant me laisse vraiment à penser que tout ce que l’on voit lors de cette séquence est tout simplement faux.
(Vous pourrez vous faire votre idée en lisant cette chronique : https://www.facebook.com/pg/Stork-en-Stock-115907799789444/photos/?tab=album&album_id=122906372422920 , mais je vous invite à voir/revoir le film, bien entendu)


_ Troisièmement, ‘’Joker’’ comporte une scène qui a première vue parait méprisante pour les spectateurs, lorsqu’il est expliqué de manière appuyé qu’Arthur Fleck imagine des choses, et que l’on apprend, qu’en fait il ne fréquente absolument pas sa voisine. À la première lecture, c’est vraiment dérangeant. En mode clin d’œil, coup de coude. Mais en y réfléchissant plus longuement, cette séquence est en dissonance avec la franchise du métrage.Ce cruel manque soudain de rigueur intellectuelle vient appuyer, à l’ombre des références ‘’Blow Out’’ et ‘’Ace in the Hole’’, le fait que tout le dernier acte se passe bien dans la tête du Joker.


_ Quatrièmement, un autre élément qui peut orienter cette hypothèse, est le plan utilisé lorsqu’il est dans la voiture de police, son costume débraillé et son maquillage dégoulinant, qui renvoi à une autre scène, au début du métrage. Lorsqu’il rêvasse dans le bus, où il est pris d’une crise de rire. C’est exactement le même angle de caméra. Sauf que dans la voiture de police il n’est pas saisis de son fou rire indomptable. Il regarde juste avec contentement les clowns détruire Gotham. Une information qu’il a entendu plus tôt, et qu’il est tout à fait en mesure de fantasmer. Dans le cadre de son délire mégalomaniaque, étayé plus tôt dans le film.


Et pour terminer sur ça, lorsqu’il est interné à l’Arkham Asylum il chantonne une chanson qui devient celle du film. Il rigole d’une blague, puis juste après on nous montre le petit Bruce Wayne debout devant les dépouilles de Thomas et Martha Wayne. Assassinés au moment même où Joker se rêve en homme providentiel d’une révolution sur le départ. Appuyant à nouveau la mort symbolique d’Arthur Fleck, qui engendre le Joker. Et surtout, laisse présager un avenir où il monterait en puissance, pour devenir le roi du crime de Gotham, tel qu’on le connaît au travers de l’univers Batman.


Alors, tout ceci n’est bien entendu que théorique et n’a vraiment pas pour vocation de déterminer une réalité. Car le plaisir d’une œuvre telle que ‘’Joker’’ est justement sa richesse, qui permet la déclinaison de nombreuses interprétations. Pour ma part j’ai fait le choix de croire en celle-là, que je trouve plausible. Mais il doit en exister des tas d’autres.


[//\ Fin du gros spoil qui tâche //\]


‘’Joker’’ c'est juste un film, brassant des thématiques universelles qui se trouvent dans un paquet d’autres productions. Il rencontre le succès surtout parce que le personnage est hyper populaire. Mais jamais Todd Phillips ne cherche à défendre son personnage central, comme il le lui a été reproché. Il n’est jamais complaisant, et ne lui trouve pas d'excuses. Au contraire même, il s’amuse à explorer une psyché fictive par un premier degré duquel se dégage une immense absurdité.
Renforcé par la prestation d’un Joaquin Phoenix possédé, qui entre retenue et Grand-Guignol, à la hauteur de la décadence de Gotham, fait d’Arthur Fleck/Joker un personnage hors norme, d’une grande richesse. Il a beaucoup été comparé à Travis Bickle, mais ce raccourci un peu facile porte plus préjudice à l’immense et insurpassable ‘’Taxi Driver’’. Car il est possible de citer toute une floppé d’autres films, moins réputés, qui en leurs temps marquèrent aussi le public au fer rouge. Non, si ‘’Joker’’ fait autant parler de lui aujourd’hui, c’est juste lié au fait que depuis des années, le manque d’innovation à Hollywood a fini par endormir le public, qui est choqué dès que ça déraille un petit peu.
L’immense succès qu’il rencontre témoigne d’une envie du public de recevoir autre chose des Studios. Avec ce film qui a déchaîné les passions, tout le monde a voulu se faire un avis, et c’est comme ça que ça marche le cinéma. Il est vraiment à espérer que ‘’Joker’’ soit à l’origine d’une prise de risque plus fréquente de la part des exécutifs. Et ce n’est pas un hasard si cette démarche vient de chez Warner. Une major reconnue pour savoir faire confiance à ses réalisateurs. Sans déconner, elle ose bien reconnaître David Ayer comme un auteur… Ayant toujours su rebondir, la maison des Animaniacs, qui l’an dernier avait atteint le fond avec ‘’Justice League’’, est parvenu à travers la même mythologie DC à amorcer, il faut l’espérer, un renouveau.
Le Joker est ainsi définitivement un personnage appartenant au patrimoine mondiale de l’humanité. En tant que mythe il devient propre à chacun d’en faire sa déclinaison, et son interprétation propre. C’est ce à quoi s’est livré Todd Phillips, en osant sortir de sa zone de confort, la comédie un peu potache, parvenant à sortir une œuvre grandiose sur le mal-être et l’aliénation. Un film de son temps, qui reflète particulièrement bien le malaise des années 2010, et le déclin programmé de notre civilisation, actuellement au bord de la rupture. Par le biais de l’universalité de son sujet, la reprise de la rue par ceux à qui elle appartient : Le peuple.
Un brin nihiliste, hautement pessimiste, ‘’Joker’’ bouscule et enthousiasme à la fois. Riche de l’apanage des grandes productions qu’a su proposer Hollywood par le passé. Et pourtant, ce n’est qu’un tout petit film au milieu de la production actuelle, simplement mené, magistralement mis en scène, tout autour d’une performance magnétique, livré par un acteur rare. Il ne faut parfois pas grand-chose pour que la magie du Cinéma opère. Mais ‘’Joker’’ ne doit pas faire peur, au contraire, c’est une œuvre saine, comme il en faudrait un peu plus dans le circuit mainstream. C’est tout, juste un film.


-Stork._

Peeping_Stork
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le 4 mars 2020

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Peeping Stork

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