Projet aussi casse-gueule que fantasmé, le plus légendaire ennemi de Batman trône cette fois le haut de l’affiche en solo et sous la houlette de Todd Phillips, réalisateur de la trilogie Very Bad Trip. Une association qui avait tout pour accoucher d’une mauvaise blague. Il n’en est rien, bien au contraire et Joker s’avère être l’une des plus grandes réussites de l’année.


La beauté des personnages de comics est leur intemporalité. Cet inexorable côté increvable qui leur fait traverser tous les âges. Une belle manière de réinventer des mythes vieux de 80 ans. Plus qu’un dépoussiérage, comme celui fait par Christopher Nolan avec sa trilogie Dark Knight, chaque relecture est aussi l’occasion de capter les maux de l’époque. Pour peu que les équipes créatives se donnent la peine de comprendre qu’ils tiennent entre les mains de véritables personnages dramatiques (coucou Marvel). Ironie du sort, celui qui a saisi le message de manière limpide n’est autre que Todd Phillips, réalisateur connu pour ses comédies grasses et bas du front. Celui à qui l’on Road Trip se rêve à tordre le cou au rêve américain. Et quoi de mieux qu’un personnage comme le Joker pour y parvenir.


Gotham City. Quelque part au début des années 80. Arthur Fleck est un clown de rue qui se rêve en future star du stand-up. Chose qui lui permettrait de passer dans l’émission de Murray Franklin, animateur qu’il idolâtre. Car, depuis tout petit, sa mère dont il a la charge lui martèle qu’il a pour mission de « donner le sourire et de faire rire les gens dans ce monde sombre et froid ». C’est sans compter sur la société qui en a fait un laisser pour compte et qui continue de le pousser vers l’abîme. Arthur va alors lentement lâcher prise et céder à la folie pour que Gotham ait enfin le clown qu’elle mérite…


Véritable uppercut, Joker est un film qui fera date dans l’univers des « comics book movies ». Alors qu’à la genèse du projet, où beaucoup pensait assister à une mauvaise blague, le film s’impose comme une réussite majeure. Un film qui prend le genre à rebrousse-poil, se contrefout des explosions, du spectacle, de la surenchère et de la blague de trop. Todd Phillips n’est pas là pour se marrer. On le sent dans ses influences, tant son film respire le Scorsese des seventies. Joker est un drame. Un drame social autant qu’une brillante étude de personnage. Une tragédie sur la descente aux enfers d’un homme consumé par la société et qui se révélera malgré lui l’incarnation du chaos inévitable qui en résultera. Un sentiment renforcé par la mise en scène dont les travelings sont diablement efficaces, tout comme les contre-plongées, notamment pour l’escalier qu’emprunte le personnage de Fleck et si symbolique de sa transformation mentale. La musique lourde et anxiogène Hildur Guðnadóttir achève le travail, transformant certaines séquences en longs moments de malaises dont finira par exploser une violence aussi physique que psychologique.


De tous les plans (ou presque), Joker ne serait pas ce qu’il est sans la prestation monumentale de Joaquin Phoenix. Totalement habité, l’acteur s’efface derrière le personnage de manière radicale. Que ce soit par son corps amaigri, son regard ou son rire incontrôlable, véritable cri de douleur du personnage, on voit mal comment l’Oscar pourrait lui échapper. Phoenix et Phillips parviennent à plonger le public dans les tréfonds de l’esprit d’un psychopathe envers lequel on éprouve au départ une certaine empathie avant de ne plus pouvoir justifier ses actes, tout en comprenant comment il en est arrivé là. Dans son dernier tiers, le film s’envole littéralement et plonge le spectateur dans un cinéma social, encore une fois radical. Jamais le film ne juge, ne prend parti. Et en aucun cas, il n’encourage la violence, comme le pointe du doigt la presse américaine. Le film a, au contraire, justement le bon goût de laisser le public s’en remettre à son intelligence et de démêler fiction et réalité. Même si le miroir que tend le clown du crime semble étrangement familier.


Générique de fin : Véritable OVNI dans le paysage des « comics books movies », Joker sera à marquer d’une pierre blanche. Todd Phillips fait preuve d’un talent et d’une maîtrise qu’on ne lui soupçonnait pour livrer son film le plus abouti à ce jour et tout en signant, au passage, l’une des propositions de cinéma les plus radicales de ces dernières années. Porté à bouts de bras par un Joaquin Phoenix hallucinant, Joker est également un pari réussi, véritable pied de nez à une industrie bienpensante et de plus en plus aseptisée. Mise en scène simple mais habile, BO assourdissante, finisse et intelligence du scénario, Joker est un cauchemar implacable que le public continuera longtemps de fantasmer.


https://lepetitjournaldefresnel.wordpress.com/2019/10/11/joker-the-king-of-tragedy/

Breaking-the-Bat
8

Créée

le 29 avr. 2020

Critique lue 178 fois

Valentin Pimare

Écrit par

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