Un film hollywoodien appelant à la révolte ? Voilà qui n'est pas commun. Comment un film financé et commandé par le système peut-il être pertinent ? La réponse est simple: il ne le peut pas.
Autant l'admettre, l'idée de faire du Joker un mélange de Travis Bickle et de D-Fens est excellente. Le personnage se porte parfaitement à un rire triste et désespéré se substituant aux larmes. Mais comme toujours, le problème est dans le traitement.
Le premier problème réside dans le personnage d'Arthur Fleck. En faire un simplet est une fausse bonne idée. Certes, on s'identifie immédiatement à lui car on perçoit les évènements différemment de lui et par conséquent la méchanceté de son entourage abusant de sa condition mentale (notamment son collègue qui lui "offre" un flingue). Mais le traitement est raté, les interactions avec les autres personnages sont trop simplistes, là où par exemple l'écriture du personnage de Charlie Gordon dans Des fleurs pour Algernon nous faisait toujours adopter son point de vue, si bien que l'on était aussi incrédule que lui face aux moqueries de ses collègues boulangers, avant que son Q.I ne soit artificiellement augmenté et que sa perception des évènements s'affûte également. Certes, Joker n'est pas un film de science-fiction, mais la perception nouvelle qu'Arthur a du monde suite à ses nombreuses mésaventures est très médiocre et manichéenne. Aucun personnage, si ce n'est peut-être lui, sa mère et l'archiviste du centre de détention, n'est nuancé, il y a des gentils et des méchants.
Cette faiblesse d'écriture résulte d'une vision adolescente de la révolte. Arthur devient méchant parce que les gens sont méchants avec lui. Suivant la logique infantile du personnage, c'est tout à fait compréhensible, mais la mise en scène ne nuance nullement cette conclusion limitée. Au contraire, elle l'épouse. Il n'y a aucune subtilité, tout est jeté à la figure du spectateur avec prétention et sans aucune nuance. Le Joker est glorifié dans sa bêtise, dans la vacuité de l'objet de sa révolte. D'ailleurs, quel est l'objet de cette révolte populaire dont Arthur fini malgré lui par être le moteur ? Les méchants riches ? Un système hypothétique ? Ces revendications adolescentes de pur ressentiment ne font aucun sens et sont encouragées par la mise en scène.
Il n'est pas ici question de faire une critique morale du film, cet exercice n'aurait aucun intérêt. Joker reflète parfaitement son époque, mais pas comme il l'aurait souhaité. Une époque glorifiant la vacuité de la jouissance immédiate et du ressentiment, encourageant l'irrévérence et l'incivilité sans aucune volonté de reconstruction. Ce qui n'est pas étonnant venant du réalisateur de Very Bad Trip et producteur de Projet X.
Si l'on souhaite se plonger dans la descente aux enfers d'un américain de classe moyenne voire prolétaire, autant voir Taxi Driver, qui est infiniment plus clairvoyant et cinématographiquement intelligent.