L’état d’Illinois a longtemps été le berceau d’enjeux de droits et abrite en son sein de nombreuses figures qui règnent encore dans la vie politique, sociale et cinématographique. Pour son deuxième long-métrage, Shaka King souhaite explorer les activités ainsi que l’engagement du meneur du parti des Black Panthers de l’état. Sa discrétion anecdotique sans le récent « The Trial of the Chicago 7 » constitue l’alibi parfait afin d’en exploiter ses vertus, sa détermination et son lyrisme, dans une lutte qui progresse à vue dans le temps. Hélas, c’est soit la durée ou la perspective d’avoir tué la poule dans l’œuf qui handicape l’envol d’une œuvre tristement timide et sans point de vue pour ses protagonistes, logés à la même enseigne, logés à la même catégorie aux Oscars, comme s’il y avait une complémentarité dans la révolution et la trahison.


S’il n’est pas foncièrement question de contradiction, c’est bien un aspect préoccupant de « faux biopic », qui n’embrasse pas pleinement leur sujet. Très convenu dans une première partie qui ouvre sur des images d’archives, le récit nous embarque dans une incursion dans la cour de militants, prêts à répandre leur parole et des larmes de sang. William O’Neal (Lakeith Stanfield) fait son entrée, dans la crainte et l’espoir de se voir un jour renaître, au lieu de superposer les petits braquages. Sa maladresse le conduit dans les mains crasses du FBI, dont les méthodes controversées de J. Edgar Hoover (Martin Sheen), à la tête du service, nous rappelle ô combien la ségrégation raciale détourne d’autres motivations, qu’on ne se privera pas de mentionner à petite dose. Mais comme on l’a dit plutôt, il ne s’agit pas plus d’un larcin ou un conte moral contemporain, quand bien même l’on souhaite ardemment élever la stature de Fred Hampton (Daniel Kaluuya) jusqu’à celle de Martin Luther King ou encore de Malcolm X. Mais la mise en scène, trop académique et surtout en manque de recul sur l’environnement qui l’entoure, condamne ses héros de l’ombre à mariner dans la masse graisseuse du cinéma de Spike Lee, en pensant notamment à son « BlacKkKlansman ».


La dualité est ce qui forge de bons récits, mais également des personnages. Malheureusement, les résultats sont tout autres. Hampton et O’Neal, manquent cruellement d’interactions, ce qui nous laisse comme intermédiaire commun la vie active de Black Panthers, bien fringués, bien filmés et même un peu trop. Soigner l’esthétique déchire finalement tout le fond d’une problématique, qui a pesé dans la courte vie d’un orateur d’exception et d’un futur père de famille en quête de paix. Les armes à feu et la peur sont les moteurs d’un engouement qui transcende chaque pas de ce dernier, que ce soit dans l’antre de ses pairs ou encore sur la scène de son ascension. Mais le réalisateur serait coutumier du fait qu’il ne laisse rien déborder de son cadre, pas même dans le sens où il laisserait un public s’y immerger. L’audience reste ainsi dans un hors-champ permanent ou bien dans le flou d’une longue focale. C’est ainsi, par ce même œil restrictif, qu’un drame se distingue de la tragédie et que le discours divin de Hampton se distingue de la violence armée qu’il génère.


Évidemment, « Judas and the Black Messiah » est conscient de ces pratiques, mais ne cherche pas plus à condamner les bévues au même titre que la suspicion. Des traîtres demeurent dans les refuges des nationalistes et la paranoïa s’empresse de faire son effet. Mais cette tendance se brise facilement à coup de vent et le propos du film se dissipe par la même occasion. Toute personne noire dans ce cortège est prise au piège, nulle raison d’en douter et c’est ce qui freine toutes les tentatives de King à vouloir transcender la politique d’Hampton avec sa propre miséricorde.

Cinememories
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le 9 mai 2021

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