J'ai souvent entendu que les premières fois laissent rarement un souvenir impérissable. Si mon histoire d'amour avec le cinéma dure depuis si longtemps, c'est parce qu'elle a commencé de la plus belle des manières.


Passionné par les dinosaures depuis que le nombre de bougies sur mon gâteau d'anniversaire avait égalé le nombre de cornes sur la tête du triceratops, je voulais faire de la paléontologie mon métier. L'enfant que j'étais et que je suis encore a toujours été fasciné par ces créatures et rêvé de les côtoyer. C'est donc tout naturellement que je me suis laissé emporter par le raz-de-marée Jurassic Park qui m'a amené jusque dans une salle obscure. Le voyage que j'ai accepté en m'installant fièrement sur mon rehausseur allait me changer à jamais. J'embarquais alors pour un univers fabuleux dans lequel j'ai pu voir de mes propres yeux des dinosaures. Des vrais. Sous mon regard ébahi, ils se déplaçaient, poussaient des rugissements, mangeaient, respiraient, éternuaient. Bref, ils vivaient.
C'est ce jour que j'ai pris conscience de la capacité d'émerveillement du Septième Art. La toute puissance du magicien Spielberg m'a fait voyager à travers un monde que je croyais improbable : un monde dans lequel les dinosaures et l'Homme cohabitent, en dépit de leur 65 petits millions d'années de différence. L'inoubliable musique de John Williams, quasi religieuse, m'a accompagné tout au long de ce pèlerinage. Au même titre qu'elle m'accompagne aujourd'hui tandis que j'écris ces lignes.


Ce film, qui reste encore une référence aussi bien techniquement qu'émotionnellement, est à mon sens d'une grande richesse. Au fil des visions, il m'a dévoilé ses autres facettes en se révélant être un fascinant objet d'analyse.
Par exemple, l'utilisation des couleurs et les contrastes entre elles. Certains sont simples comme celui qui oppose le couple de paléontologues : Alan Grant, l'homme, en bleu opposé à Ellie Sattler, la femme, en rose. D'autres sont plus subtils. C'est le cas de John Hammond, rêveur milliardaire et fondateur de Jurassic Park, entièrement vêtu de blanc (qui dans la symbolique occidentale représente le bien, la vie) et dont le physique rappelle la représentation commune que l'on peut se faire de Dieu. Il est rempli de bonnes intentions mais ses folles ambitions plongent l'île dans le chaos, mettent en péril la vie de ses petits-enfants et entraînent plusieurs morts. A l'opposé, Ian Malcolm, mathématicien, qui ne porte que du noir (synonyme de mal, de mort). Sous son cynisme et son apparence de « star du rock », ce personnage se révèlera être le plus lucide sur les risques de l'entreprise Jurassic Park.
A l'inverse de l'association archaïque des couleurs au sexe des personnages, le film tient un discours moderne sur les professions et leurs évolutions. En effet, la jeune Alexis Murphy sauvera des vies grâce à sa maîtrise de l'outil informatique alors que ce hobby a majoritairement une connotation masculine. De plus, Alain Grant a cette réflexion qu'avec l'ouverture du parc, c'est le métier de paléontologue qui est fini. C'est une manière de dire qu'avec les évolutions technologiques, certaines professions évoluent et d'autres disparaissent.


Les possibles dérives de ces mêmes évolutions technologiques sont dénoncées à travers l'importance croissante de l'informatique qui contrôle notre monde et nos vies. En se retrouvant entre de mauvaises mains, ces outils peuvent devenir mortels comme c'est le cas avec la panne générale du système de sécurité et des réseaux de communication du parc. De plus, que ce soit dans le film ou dans la réalité, la technologie et l'informatique trouvent leurs limites en ce sens que leur modernité sert ironiquement à ressusciter un monde primitif.
La suprématie de la nature dont ce monde préhistorique est issu est évoquée tout au long de Jurassic Park. Les êtres humains sont rappelés à leur condition de mortels en dépit des ambitions divines de certains, rendues possibles par l'argent et la science. Malgré la volonté des hommes de contrôler la reproduction et les déplacements de ces animaux d'un autre temps, l'ordre naturel reprend le dessus. Progressivement, les traces d'interventions humaines s'effacent et les lieux laissent place à une jungle darwinienne et hostile, très loin des équipements high-tech et des bâtiments sécurisés visibles à l'arrivée des visiteurs. Les vélociraptors vont même jusqu'à envahir une cuisine et en faire leur terrain de chasse. Cette thématique trouve son point d'orgue dans la superbe scène finale où les protagonistes sont sauvés par le Tyrannosaure-Rex qui tue ses congénères.
Grand admirateur de Spielberg, j'ai apprécié les détails inhérents à la personnalité du cinéaste ponctuant le film. Par exemple, son désamour pour les avocats (il a prénommé Bruce le requin mécanique du film « Les Dents de la Mer », en souvenir de son propre avocat) qui donne lieu au face-à-face cruel, drôle et culte entre le T-Rex et Donald Gennaro sur les toilettes. En outre, la réplique d'Alan Grant découvrant le tricératops (« C'était mon préféré quand j'étais gosse ») est autobiographique.
Ce même triceratops malade suite à une intoxication alimentaire m'a fait remarquer la place prépondérante de la nourriture dans Jurassic Park. Le film s'ouvre en effet avec un homme dévoré vivant par un vélociraptor. Le premier dinosaure réellement dévoilé, le brachiosaure, se nourrit. Dennis Nedry, le responsable informatique qui trahit John Hammond, est obèse et cache les embryons subtilisés dans une bombe de mousse à raser. Au-delà d'êtres qui se nourrissent (rien d'étonnant dans un parc animalier), ce motif récurrent peut être vu comme une extension de l'appât du gain, présent tout au long du film (« J'ai dépensé sans compter » est le leitmotiv de John Hammond). À la trivialité de l'appétit humain pour l'argent s'oppose la voracité des dinosaures. Cette dernière est de l'ordre de la nécessité et s'exprime de manière différente mais toute aussi violente.


Je n'ai finalement pas suivi les traces d'Alan Grant comme je le souhaitais plus jeune. Mais mon amour pour les dinosaures reste toujours intact et ce film continue de me toucher profondément car il parle à cet enfant qui est toujours en moi et l'émeut à chaque visionnage.
Pour toutes ces raisons, y compris les faux raccords que je connais maintenant par cœur, Jurassic Park reste mon meilleur souvenir de cinéma.

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le 23 févr. 2012

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