Reprenant les codes du premier volet Jurassic Park, pour les pousser plus loin, Jurassic World s'avère peut-être la suite la plus honorable de la saga. Le changement de titre semble indiquer que la recette du film original sera reprise, mais en repoussant ses frontières. Cette fois, le parc est enfin ouvert (pour la première fois en quatre épisodes). Une première partie vient donc mettre en abyme notre statut de consommateur-mouton, qui se traîne dans des parcs d'attraction tout en buvant du Coca-Cola (lors de la scène de l'attaque des volatiles, on peut voir un touriste s'échapper tout en gardant dans chaque main ses deux verres de margarita qu'il a dû payer fort cher).
De même que les spectateurs veulent consommer plus, les gérants du parc veulent gagner plus. Ils créent donc des dinosaures hybrides toujours plus monstrueux, sans aucune valeur de recherche historique ou scientifique, mais dans le pur but de divertir les masses.
Claire Deaning, notre héroïne (en duo avec Owen Brady / Chris Pratt), propose ces futures attractions aux différents sponsors. "A quand le Coca-nosaure ?" jette l'un de ses co-équipiers, Lowery, fils spirituel de Ian Malcolm (personnage poil à gratter). Les placements de produit du film deviennent alors totalement justifiés, ils semblent faire partie du décor et du choix scénaristique du film (là où elles arrachent l'oeil dans un James Bond). Les scénaristes de Jurassic World ont donc eu l'intelligence de reprendre l'idée la plus importante du premier volet et du roman de Michael Crichton : faire de ce divertissement grand spectacle, un reflet de la société qui l’a créé et de nos inquiétudes modernes. Les entreprises amassent toujours plus d'argent, sur le dos des moutons prêts à consommer n'importe quoi. Ils finissent par être dépassés : c'est le Indominus Rex qui s'évade, ou le coup de la viande de cheval dans des lasagnes Findus.
Le produit que l'on propose aux consommateurs est cancérigène ? Tant pis, ils adoreront.
Le film est lui-même composé de la sorte : créé par le Studio Universal, au millimètre, pour remplir toutes les attentes des différents publics. Une armada de techniciens, conseillers, etc. viennent donc créer le produit qui plaira à la fois au grand public en manque d'action, au public cinéphile ou spielbergophile vouant un culte au 1er opus, et même aux critiques à la recherche d'une vraie mise en scène. En effet, les créateurs ont aussi pensé à reprendre le format, la photographie, et le découpage savamment pensé du premier volet. Beaucoup de belles idées visuelles parsèment le film, loin des montages épileptiques sans saveur de beaucoup de blockbusters actuels. Les apparitions des dinosaures sont conçues avec soin, et le suspense suit un véritable crescendo (première partie qui voit la tension monter lentement, jusqu'à accélerer l'action progressivement). Difficile de connaître avec certitude le véritable rôle de celui qui est sensé donner les directives dans notre vision française d'un tournage, le réalisateur, ici Colin Trevorrow, tant l'esthétique colle à celle du film de Spielberg. Même la musique pastiche John Williams, avec talent.
Jurassic World n'est donc pas original, il ne prend aucun risque, mais il est parfaitement conçu.
Il se propose juste de concrétiser les attentes du 1er épisode, et de pousser plus loin les enjeux. Sur l'aspect écologique de l'oeuvre de Crichton, l'irrespect de l'Homme face à la bioversité, sa foi immodérée en lui-même face au chaos, Jurassic World propose cette fois des velociraptors dressés pour faire le show, comme des dauphins (on leur jette un cochon au lieu d'un poisson). Un fou militariste, caricaturé à merveille par Vincent D'Onofrio, propose même d'en faire de la chair à canon pour l'armée américaine.
Dernier point du cahier des charges à remplir : faire aussi de cette aventure une comédie sentimentale et familiale. Au programme : deux enfants font face au divorce de leurs parents, et le parcours d'une carriériste, célibataire pincée, qui apprendra à aimer ses proches et finira par s'ennamourer d'un cow-boy musclé. Le tout pour mieux nous faire trembler quand leur vie est menacée par les dinos. Formule classique du genre depuis Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock, reprise par Spielberg plus d'une fois : Les dents de la mer, Jurassic Park, La Guerre des mondes... Pour donner vie à ces humains, une nouvelle distribution bien pensée parvient à nous faire oublier Sam Neill, Jeff Goldblum et Laura Dern. Chris Pratt, formé à la comédie dans la série Parks and recreation, est idéal dans cet énième héros cool du cinéma américain. Le duo formé avec Bryce Dallas Howard fonctionne parfaitement, dans l'esprit des comédies de remariage. Les personnages secondaires fonctionnent bien, même les enfants, et le Dr Wu, joué par B.D. Wong, fait le lien avec le film original.
C’est donc dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures. Le film semble être lui-même un dinosaure ressuscité, tout droit sorti des années 80, âge d’or des pop-corn movies. Certains seront rebutés par ce manque d’originalité, mais force est de constater que le film fonctionne néanmoins et offre un spectacle de grande qualité.