Quand l'incohérence menace les dinosaures d'extinction

A l'image de ses fameux dinosaures, Jurassic World a la peau dure : non pas que son faramineux triomphe au box-office découle d'une solidité à toute épreuve, mais dans le sens où son développement aura connu bien des accrocs de poids, comme peuvent en attester les regrettés Stan Winston et Michael Crichton.


Qu'à cela ne tienne, une dizaine d'années après ses premiers balbutiements le projet aura finalement abouti, tout en ayant entretenu craintes et espoirs chez les fans de la première heure, non sans raisons ; quelque peu sorti de nulle part, Colin Trevorrow écopa d'autant plus d'une bien lourde tâche à la réalisation, tandis que rumeurs et spoilers en tous genres suscitaient davantage de débats qu'un consensus généralisé...


Il serait donc euphémique de dire que ce quatrième volet, suite proclamée du légendaire Jurassic Park (Le Monde Perdu et le mal-aimé de la fratrie n'étant pas mentionnés), était attendu de tous au tournant, moi compris (et j'étais étonnamment confiant) ; au bout du compte, le divertissement à beau être au rendez-vous, Jurassic World cumule bien trop d'écueils pour égaler l'opus phare de Spielberg, ce à bien des égards.


L'ensemble demeure pourtant fort sympathique, la première partie du long-métrage posant d'abord le décor avec une certaine réussite : l'ambiance retrouvée du fantastique parc d'attractions nous met dans le bain avec aisance, la reprise de quelques thèmes originaux (John Williams) y contribuant grandement, de quoi conférer à la réalisation du rêve de John Hammond un attrait accru.


Mais des signes avant-coureurs donnaient déjà une idée du semi-échec à venir : l'intrigue familiale vue et revue avant toute chose, et dans une moindre mesure le conventionnalisme d'Owen Grady, exemple parmi tant d'autres d'une criante absence d'inventivité scénaristique ; si l'on se doutait que l'hommage à Jurassic Park serait forcément de la partie, et l'on apprécie à leur juste valeur les quelques références parsemant le film, celui-ci finit malheureusement par tomber dans la redite et même la reproduction de séquences phares.


Jurassic World manque d'âme en somme et souffre clairement de la comparaison, d'autant que des incohérences à n'en plus finir viennent ternir ses bonnes intentions ; l'argument de la génétique se voit d'ailleurs utilisé à tort et à travers, de quoi amoindrir l'impact du mystérieux Indominus rex, qui bien que immensément dangereux ne parvient qu'à de trop brèves occasions à instaurer un climat de tension.


La force de Jurassic Park était justement de mêler avec un brio dantesque contenu fantastique, humour salvateur et atmosphère savamment frissonnante ; le T-rex du premier opus reste donc le maître en la matière tant l'Indominus se voit bien mal mis en valeur... à l'exception de sa libération, l'une des rares séquences véritablement captivante du long-métrage.


De bonnes idées subsistent malgré tout, à l'image du controversé "dressage" de vélociraptors, celui-ci se révélant pas si idiot que cela ; bien mené par le plaisant Owen Grady (il fait certes pâle figure vis-à-vis de Grant et Malcolm, mais il sauve à sa manière les meubles), cet élément d'intrigue trouve finalement un sens acceptable (à noter que Omar Sy s'en tire honorablement).


Néanmoins, au détour d'un rebondissement de poids sur la composante inconnue de l'Indominus, Jurassic World parvient à se saborder de nouveau au travers d'absurdités foulant du pied toute logique : les changements d'alpha peuvent en témoigner, tandis que la maladroite intrigue autour du stupide Hoskins (franchement, il en tire une couche avec son projet militaire fumeux) se veut prévisible à souhait (et le fait qu'il se fasse becter l'est tout autant).


Et puis que dire du final, que l'on qualifierait volontiers de gros et forcé à n'en plus finir, tant il parachève la bêtise relative du film : entre fan-service pur et dur et des dinosaures à la limite de l'humanisation ridicule, Jurassic World ne nous aura rien épargné, vraiment rien (la course en talons vaut son pesant de cacahuètes).


En me relisant, je me demande bien comment légitimer une note de 5, ce qui est pour le coup très généreux... seulement voilà : Chris Pratt assure comme un chef ; le personnage de la charmante Bryce Dallas Howard s'avère bien moins redondant que craint ; l'univers est visuellement convaincant ; et enfin on se replonge malgré tout avec plaisir dans le cadre faussement paradisiaque d'Isla Nublar... d'où un charme ambiant se dégageant de Jurassic World envers et contre tout.


En résumé le long-métrage de Colin Trevorrow n'use donc à aucun moment de son plein potentiel, tant ses innombrables lourdeurs manquent de peu de le faire passer pour un quelconque blockbuster formaté ; l'étiquette Jurassic Park redore heureusement (dans une moindre mesure) le blason de ce film certainement animé de bonnes intentions, qui au milieu de ce sacré foutoir scénaristique trouve le moyen d'assurer le divertissement.

NiERONiMO
5
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le 25 juin 2015

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NiERONiMO

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