Les réunions de famille n'auront jamais fini de fasciner le cinéma ! Avec "Sieranevada" de Cristi Puiu, le nouveau métrage très attendu du jeune prodige québecois Xavier Dolan était le 2ème film présent à Cannes traitant de ces retrouvailles, durant lesquelles tous les non dits et frustrations diverses finissent inévitablement par éclater ! Si le réalisateur roumain en profitait pour parler de politique et de sujets divers et variés avec une grande ironie culminant lors d'un plan final réjouissant, l'on a ici à faire à la version à priori très "qualité française" du genre ! En choisissant d'adapter la pièce de Jean-Luc Lagarce , Dolan fait preuve d'une véritable audace en allant à l'encontre de ce que l'on pouvait attendre de sa part après le succès public et critique de "Mommy" ! Là où ce dernier était débordant de générosité envers son public, cherchant l'émotion à tout prix, le film présent fait plutôt dans la rugosité et la radicalité !
Délaissant les coquetteries de mise en scène qui pouvaient en agacer certains, il filme ici en plans très serrés sur les visages, laissant la plupart du temps les éléments du décor dans le flou, pour ne restituer que les expressions de ses comédiens ! Si l'on retrouve ici son amour des comédiens qu'il pousse dans leurs derniers retranchements, ce n'est plus dans l'optique de provoquer les larmes chez le spectateur, mais plutôt pour lui faire ressentir de manière viscérale et sensorielle les sentiments extrêmes animant ses personnages !
Ici, tout le monde ou presque est totalement névrosé et cache derrière un comportement outrancier de surface , de profondes fêlures, que le personnage campé par Gaspard Ulliel va faire ressortir de manière radicale ! Si ce dernier se montre très intériorisé, à un point tel que toute identification est volontairement impossible, les autres auront tous leur moment n'appartenant qu'à eux, durant lequel ils pourront exprimer ce qu'ils auront gardés en eux pendant toutes ces années d'absence ! En terme d'interprétation, aucun comédien ne tire la couverture à lui, et chacun exprime des choses que l'on n'avait jamais eu l'occasion de voir de leur part !
La mise en scène pourra évidemment en rebuter plus d'un, par sa rigueur ne laissant que peu de place à la fantaisie ! Si l'on retrouve à certains moments le goût du réalisateur pour l'utilisation de chansons à priori incongrues, elles sont ici employées à bon escient et ces rares instants ne font pas le même effet que l'élargissement de l'écran sur fond de "Wonderwall" dans "Mommy" ! Si le procédé du très gros plan peut de prime abord paraître un peu trop sévère, il s'agit surtout d'une preuve de courage indéniable de la part d'une jeune auteur que l'on aura trop vite qualifié d'arrogant, et qui, par sa croyance totale en la puissance du médium cinématographique, prend ici le risque d'être mal aimable, ce qui est évidemment tout à son honneur !
En sortant de la salle, difficile de dire si l'on a véritablement aimé, mais l'on est sûr d'une chose, que l'on vient de voir ce qui sera certainement considéré à l'avenir comme un très grand film ! L'expérience n'est pas spécialement agréable, on peut s'y sentir quelque peu étouffé, mais les fulgurances propres au cinéma de son auteur, l'interprétation de haute volée et les jolis éclairages aux tons très chauds placent le spectateur dans un cocon dont il a du mal à émerger lorsque le générique retentit au son du superbe "Natural Blues" de Moby ! A seulement 27 ans, Dolan prouve qu'il n'était pas un pseudo réalisateur narcissique et capricieux, mais bel et bien un Auteur, au sens le plus noble du terme ! De ceux développant à chaque nouveau film des thèmes qui leurs sont chers, tout en sachant faire évoluer leur mise en scène !