Des cris, des larmes, des rires... La vie, et rien d'autre !

Très attendu au tournant suite au triomphe critique et public de son "Mommy" sorti il y a maintenant deux ans, ce nouveau film du jeune prodige québecois Xavier Dolan présentait sur papier des arguments plus que solides.
Avec son casting 4 étoiles 100% français (Gaspard Ulliel, Vincent Cassel, Marion Cotillard, Léa Seydoux et Nathalie Baye) et son scénario taillé sur mesure pour l'univers très intime et personnel du jeune cinéaste (un jeune homme homosexuel revient dans sa famille qu'il n'a plus vue depuis 12 ans pour leur annoncer son décès prochain).


Maintenant, que vaut donc ce fameux film tant attendu, auréolé entretemps du Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, mais ponctuée cela dit, de critiques divisées, certains criant haut et fort au génie là où d'autres crient à la fumisterie et au nombrilisme exacerbé ?


Eh bien... c'est réussi ! Et même plus que réussi, cela fait longtemps qu'un mélodrame ne nous avait plus autant remué de l'intérieur, à tel point qu'on sort de la salle particulièrement secoué, tant les tensions vécues par cette famille brisée nous semblent familères.
Pourquoi cela ? Ben tout simplement parce que "Juste la fin du monde", au-delà de son sujet, traite ni plus ni moins que des choses de la vie. Qui n'a jamais été victime de crises de frustration, de complexe d'infériorité ou encore de malentendu sur son image personnelle (les membres de votre famille vous qualifient de ce que vous n'êtes pas) ?
La grande force du film réside dans le talent du jeune Dolan à parvenir à transcender son scénario, conçu par ailleurs comme un suspense, le spectateur se demandant quand ce pauvre diable va enfin avouer la sinistre nouvelle à ses proches, par ailleurs déjà bien mal en point moralement parlant. Dès lors, "Juste la fin du monde" ne manquera pas de secouer les consciences, de faire réfléchir et ce même longtemps après la projection, sur nos rapports personnels avec notre propre famille. L'image que notre famille se fait de nous correspond-t-elle finalement tant que ça à la réalité, ou est-ce simplement de la pure subjectivité ? Nous connaît-elle vraiment ? Dolan fait jaillir toutes ces questions via des dialogues par ailleurs d'un naturel très désarmant, au point même que par moment, on en vient à se demander si la direction d'acteur ne s'est pas construite entièrement sur un jeu 100% naturel, à l'instar d'une Léa Seydoux impressionnante de naturel (dans le bon sens du terme).


L'autre grande particularité du film réside dans son ambiance quelque peu particulière. Construit comme une sorte de huis-clos à suspense, symbolisé par une maison familiale prétexte aux non-dits et autres règlements de comptes, la tension est palpable au moindre plan. Alors oui, comme l'ont soulignés certaines critiques particulièrement virulentes à l'égard du film, ça crie, ça hurle, ça s'insulte, ça s'humilie, ça se frappe même presque, mais encore une fois, ce type de procédé renvoie au cinéma même de Dolan, empli de douleur et de fureur, un cinéma qui utilise la colère pour se faire entendre, un cinéma qui ne demande qu'à aimer et à être aimer.


On pourra certes lui reprocher à cet égard une certaine complaisance (certaines disputes sont particulièrement humiliantes), mais certainement pas une certaine vérité. Car ce que filme Dolan après tout, c'est la vie, le vécu que chacun d'entre nous connaît ou est susceptible un jour de connaître.


Les acteurs sont l'autre point fort du film. Habités à jouer dans un lieu clos, ils parviennent à sortir du cliché de "théâtre filmé" (ce que le film n'est pas d'ailleurs, le réalisateur prenant bien soin de rappeler, le temps de courts et rapides flash-back intimes et personnels, qu'il s'agit bel et bien d'un film de cinéma) par le biais d'un jeu certes théâtralisé (les grands gestes, les cris de colère, les pleurs) mais systématiquement désarçonné par un sens du naturel qui revient au galop.
Ainsi, Vincent Cassel n'a jamais paru aussi naturel de colère, de complexité refoulé; on n'est d'ailleurs pas près d'oublier son pètage de plombs final, assénant ni plus moins que les quatre vérité à sa famille qui n'a jamais su le comprendre, trop occupé à se forger une image de lui qui n'est pas la sienne.
Idem pour Léa Seydoux, qui dans le rôle de la petite soeur rebelle et un peu paumé, nous secoue aussi de par sa rage extérieure, qu'elle a trop longtemps dissimulé. Dans un rôle un peu plus ingrat (la mère de famille servant de médiateur à tout ce petit monde), Nathalie Baye s'en tire avec les honneurs, bien qu'un peu effacé par le reste du casting.
En contrepoint du jeu à la fois contenu et sauvage de Cassel et Seydoux, on trouve celui, plus sobre et introverti de Gaspard Ulliel et Marion Cotillard. Dans le rôle de la femme quelque peu soumise de Vincent Cassel, la belle et talentueuse française n'a jamais parue aussi naturelle de tristesse et de sobriété. Dans le rôle du frère mourant, Gaspard Ulliel se révèle lui aussi très touchant, avec ses faux airs d'ange, que l'on pourrait qualifier, au vu de la tension qu'il réveille au sein de sa famille, d'ange exterminateur.


Au final, "Juste la fin du monde" se révèle être un film très touchant, plein de bruits et de fureur, à l'instar de l'entièreté de la filmographie de Xavier Dolan, avec ses qualités et ses défauts. Xavier Dolan a énormément de talents, c'est indéniable.
Sur ce point-là, contrairement à ce que disent certaines critiques très austères à l'égard du jeune cinéaste, il s'agit plus de prouesses visuelles que d'effets tape-à-l'oeil trop démonstratifs. On peut sentir certes un peu mal à l'aise sur certains points, notamment via le flash-back très intime et surtout très troublant dans lequel le cinéaste apparaît en chair et en os dans son film, à tel point point que l'on pourrait se demander s'il ne s'agirait d'un autre fragment filmé que le cinéaste aurait inclus dans son propre film.


On est loin aussi de l'effet de surprise et de la force émotionnelle de "Mommy", "Juste la fin du monde" étant, du début à la fin, habité par une colère sourde, se faisant sentir par petites touches.


Malgré ces quelques réserves, il n'en reste pas une oeuvre d'une profonde justesse, à la fois troublante et émouvante, servi par un casting en état de grâce et par une mise en scène de grande qualité.

f_bruwier_hotmail_be
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Créée

le 23 oct. 2016

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