Adapté de la pièce prodigieuse de Jean Luc Lagarce, Dolan s'attaque à des thèmes anormalement sombres (la mort, la maladie, le temps qui passe) au vue du reste de sa filmographie. Sixième film de ce réalisateur proliférant, Dolan semble ici envisager une reconversion complète de sa mise en scène sans pour autant abolir ce qui jusqu'à présent déterminer son style. Ainsi le film ne réussit pas complètement ce qu'il essaye d'entreprendre.Du tourbillon sensationnel suivi de la vision de Mommy ou Laurence Anyways, seule ressort une vague vacuité de ces 1h40 de film. L'ouverture du film symbolise à l'extrême cette tension de la mise en scène qui tente la nouveauté sans se défaire du passé. On entend, la voix off de Gaspard Hulliel, dans une lumière plutôt sombre contrairement à l'ouverture scintillante de Mommy, annonçant ce qui paraît être le projet du film: révéler une mort imminente à ses proches. Ces premières images extrêmement épurées créent un fort contraste, avec le trajet en voiture typiquement dolonien, travelling aérien et musique tonitruante oblige. Tout le film perdra de sa rigueur, nécessaire à l'adaptation de la pièce, pour fournir ce qui apparaît comme des trop pleins de la mise en scène, des tentations d'un lyrisme dégoulinant qui annihile tout sérieux à l'entreprise. Là, où la mise en scène débordante était synonyme d"énergie et d'avancement du récit, elle apparaît ici extrêmement maladroite et tend à réduire la profondeur des êtres à une psychologie banale et une imagerie publicitaire. Ainsi, la scène de souvenir d'une rencontre amoureuse est extrêmement déplacée dans la mesure où elle ne trouve pas sa place dans le récit et propose une esthétique tape à l'oeil façon clip auquel le réalisateur nous a (beaucoup) trop habitué. La mise en scène doit s'adapter au récit, or ici elle est intrusive et maladroite. De même, que le film est parsemé d'une symbolique très sommaire voire ridicule: la pendule qui renvoie au temps qui passe, l'oiseau qui meurt à la fin du film. Le casting semble très mal choisi, Léa Sédoux et Vincent Cassel sont constamment dans un registre hystérique qui tend à l'autocaricature. On peut néanmoins souligner la prestation prodigieuse de Marion Cotillard qui retranscrit admirablement bien la langue hésitante de Lagarce. Natalie Baye incarne le personnage type du cinéma de Dolan à savoir la mère qui cultive un goût du kitsh et de la parole franche. Dolan met en place un dispositif de mise en scène qui par l'usage du flou, ou du gros plan isolant les personnages tend à montrer l'incommunication au sein de la structure familiale. De cette parole brisée et fracassée où l'individualité ne se fait jamais complètement entendre, se crée un duo complice entre Louis et Catherine, jouée par Marion Cotillard. Par des décrochements temporels, le son devient un murmure lointain pour laisser place aux images comme ce long champ contre champ magnifique entre Gaspard Hulliel et Marion Cotillard où chacun prend conscient de son propre isolement et de l'incapacité à dialoguer. De même lorsqu'elle demande à Louis " Depuis combien de temps ?", il apparaît clair qu'elle seule ait pris conscience de son état critique, mais ne formulera pas son idée jusqu'au bout. Le film, lorsqu'il garde une mise en scène minimale en créant des échanges dysfonctionnels par le biais du découpage et un jeu sur l'espace qui ne tend qu'à souligner la distance immense qui sépare les êtres, est très réussi. De même, lorsque qu'il rompt brusquement le dialogue plus ou moins instauré, par des décrochages temporels qui proposent une plongée dans le passé, le film est d'une densité assez profonde. Le problème qui subsiste et dont le réalisateur a dû mal à se défaire est cette envie de combler par ce qui semble être une facilité (la musique) ce que un dispositif minimal peut tout aussi bien aboutir à savoir la recherche du temps perdu. Le cinéma apparaît dès lors comme un langage vulgaire reprenant les codes du clip de l'industrie commerciale, il me semble qu'il peut s'élever à un stade bien supérieur.
Dolan a bel et bien un art indéniable pour conduire un récit et guider les émotions du spectateur mais au lieu de le faire par un travail subtil de la mise en scène et d'un jeu profond de ses acteurs, tout apparaît constamment en surrégime. Il advient au final, que l'émotion ressentie comme une bourrasque le temps d'une musique, s'évapore aussi vite qu'elle est apparue.