À peine remis de "The Deep House", Alexandre Bustillo & Julien Maury refont parler d'eux avec "Kandisha", leur précédent long-métrage tourné trois ans après leur amère expérience américaine sur "Leatherface" mais resté depuis inédit à cause, on l'imagine, des conséquences néfastes d'une certaine pandémie sur l'industrie cinématographique. Alors que "The Deep House" s'est accaparé la lumière en ayant les honneurs d'une exploitation sur grand écran, "Kandisha" se contente lui d'une simple sortie VOD anonyme au coeur de l'été 2021 (avec en plus une affiche ne le mettant pas vraiment en valeur). Et, personnellement, je ne peux que le regretter car "The Deep House" m'a extrêmement déçu (à mes yeux, un found-footage terriblement lambda dissimulé derrière le cadre étonnant d'une maison immergée) au contraire de "Kandisha" qui, sans m'avoir transcendé, s'est révélé être une proposition bien plus sympathique de slasher fantastique se déroulant dans une cité.


Alors, oui, sur le principe, Bustillo & Maury se contentent seulement à nouveau de déplacer un sous-genre de l'épouvante/horreur très référencé 80-90's du cinéma U.S. dans un contexte où on ne l'attend pas forcément. Ici, en tant que telle, la légende marocaine (réelle) d'Aïsha Kandisha, une femme devenue un esprit démoniaque décimant l'entourage masculin de celle qui a eu la malheureuse idée de l'invoquer, n'est qu'une énième variation de tout un pan d'antagonistes surnaturels bien connus par les rituels qui la gouvernent (de Candyman à Bloody Mary en passant par la Dame Blanche/Llorona récemment) et surfant de plus de manière bien pratique sur la mouvance féministe actuelle par la figure vengeresse qu'elle incarne. De même, tout ce qui se rattache à elle dans le film, aussi bien dans ses agissements que les moyens imaginés pour la contrecarrer, aura peu de chance de laisser bouche bée de surprise un habitué de ce type d'intrigue par la progression convenue qui en découle. Quelques moments forts viendront tout de même tenter de changer la donne, notamment dans la dernière partie (une mort à la violence redoutable ou une séance cauchemardesque chez un médium), et l'apparence changeante réussie du spectre meurtrier (un défilé parfait de masques que l'on pourrait imaginer de la part d'un succube) imposera souvent une atmosphère étrange lors de ses manifestations mais, globalement, on ne peut pas dire que l'aspect surnaturel stricto sensu de "Kandisha" saura à lui seul lui assurer un caractère unique.


C'est en effet bien l'idée de réutiliser tous ces éléments au sein d'une cité et de tout son décorum, avec la spécificité de cette légende, qui va donner sa saveur au film de Bustillo & Maury.
Bien avant que Kandisha entre en scène, le tandem nous immerge dans le quotidien de cette banlieue où, à la froideur architecturale extérieure, répond la chaleur d'un vaste monde d'intérieurs ultracolorés, comme si chaque pièce représenté à l'écran n'était qu'un infime point de la mosaïque cosmopolite des multiples existences constituant le melting-pot de cette banlieue. Formellement, "Kandisha" n'oublie ainsi jamais de faire de ce large brassage culturel la palette artistique sur laquelle ses réalisateurs s'appuient pour composer des plans travaillés et d'une richesse (lumières, photo, décors, etc) comme on en croise finalement peu dans un cinéma français ayant du mal à définir la vie d'une cité au-delà des stéréotypes habituels. Et, quand l'ombre de Kandisha envahit ce quartier, autant dire que le choc d'ambiances va se traduire aussi visuellement avec une pénombre paraissant chercher de plus en plus à dévorer chaque afflux de couleurs propagé à l'écran.
Parallèlement, cet univers plein de vie est le compagnon de route idéal pour exalter l'âme du trio d'héroïnes poursuivies par le démon. Bien entendu, on ne peut passer outre qu'à elles seules, elle symbolisent physiquement une communion "black-blanc-beur" mais le film met également en exergue avec intelligence la pluralité de leurs statuts sociaux dans cette cité qui, malgré tout, n'empêche nullement ces jeunes femmes de se retrouver ensemble afin de célébrer la force de leur amitié. Que cela soit à travers la légèreté de leurs échanges (et de bonnes vannes) ou au détour d'une situation dramatiquement réaliste, Bustillo & Maury prennent réellement le temps de construire ces héroïnes (et quelques standards masculins dans leur sillage), cherchant en permanence à tirer profit de la différence que peut apporter ce métissage urbain et ces personnages face à la présence extraordinaire d'une entité telle que Kandisha.


D'ailleurs, si l'on devait juger "Kandisha" seulement à l'aune de sa dimension humaine et de certaines liaisons sous-jacentes entre passé et présent issues de l'introduction d'un fantastique ancien dans cet environnement contemporain, on pourrait dire que le contrat est pleinement rempli, offrant un film agréablement métissé et bercé par le vent de fraîcheur de son ton soufflé sur des archétypes horrifiques... dans lesquels il se complaît hélas un peu trop.
Kandisha et tout ce qu'elle amène de paranormal dans ses bagages ont beau être très âgés, ils sont aussi d'une rigidité scénaristique trop désuète pour emmener le film vers quelque chose de plus incontournable. Là où Alexandre Bustillo et Julien Maury cassent aisément certaines barrières d'univers avec l'objectif d'amener un élan horrifique dans d'autres sphères de notre société, leur amour immodéré pour ce cinéma se traduit par une reproduction encore bien trop appliquée de ses codes les plus attendus et c'est bien là que réside leur principale limite à l'heure actuelle.
En tout cas, vous l'aurez compris, plutôt que d'aller perdre votre temps dans une maison au fond d'un lac en leur compagnie cette année, on vous conseillera nettement de laisser sa chance à "Kandisha" qui, entre passé et modernité, entre slasher et surnaturel, fait entendre sa voix aussi atypique qu'attachante dans le cinéma de genre français.

RedArrow
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le 30 juil. 2021

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RedArrow

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