Probablement l'un des films les plus éprouvants que j'ai pu voir.

Une production française trouvée au pif au hasard d'un site de streaming. J'étais pas prêt.
Film de genre sans aucun filtre. Pas un film d'angoisse, non, juste d'horreur.

Il y a très peu de suspense dans Kandisha. Parfois c'est dommage, ça sort du film, tellement tout est prévisible. Mais en même temps je pense que c'est voulu. Il y a très peu de suspense parce qu'il y a très peu d'espoir.

Regarder Kandisha, ça donne un sentiment constant d'impuissance.

Le cadre, c'est celui des banlieues moisies. Où le plus grand rêve des parents, c'est de se barrer, de donner mieux à leurs gosses. Où personne n'a confiance en la police. Où trois adolescentes, Amélie, Morjana et Bintou, toutes trois issues de familles très différentes - voire absentes - ont en commun un goût pour le street art.

L'histoire, c'est celle de meurtres, de plus en plus violents, de plus en plus graphiques, au milieu de cet espace froid et délaissé. Amélie, au sortir d'une tentative de viol par son ex, invoque, sans savoir pourquoi, un djinn meurtrier incarné par une femme à sabots, qui se met à massacrer les hommes les plus chers à Amélie, Morjana et Bintou.

Le film reprend les codes des slashers américains, avec le personnage typique de la nonne, mais transposé dans les mythes arabes et la religion musulmane. Ce déplacement permet au film d'adopter une esthétique inhabituelle, à travers une scène d'exorcisme au milieu d'une salle aux tons sable, emplie de livres et d'objets évoquant l'islam ainsi que les mythes arabes, et, surtout, à travers le design de l'antagoniste. Le djinn a une classe incomparable avec celle d'une nonne à la Conjuring : le voile noir avec les bijoux or, ainsi que les transformations monstrueuses, sont splendides, neuves et vraiment horrifiantes.

L'esthétique du film est léchée. Les lumières sont toujours au top pour rendre les scènes lisibles, mais toujours dans des teintes sombres, crasses ou fantastiques. Sombres comme ces scènes de nuit à la lumière de lampadaires ou de lampes torche. Crasses à l'image des HLM en contre-plongée qui dominent silencieusement les protagonistes, ou du jaune froid des murs du commissariat. Fantastiques comme les nuages qui surplombent parfois le film en surimpression, la fumée éthérée d'une salle de bain commune, ou les tons rouges et oranges qui accompagnent les invocations.

Du fantastique, au milieu d'un environnement plutôt banal, donc - c'est bien les codes du genre. Où les acteurs sont souvent justes et naturels. Où le début prend le temps de montrer les relations entre les personnages, toujours dans un jeu de provocations attendrissantes, de petites violences verbales qui montrent qu'ils tiennent les uns aux autres.

Beaucoup de positif, donc. Le film pêche cependant quelques fois. Sur les dialogues : on tombe dans le scepticisme injustifiable typique des films d'horreur, où les personnages, après trois meutres à la suite, osent encore dire "nan y a rien" (même si je mentionnerai une excuse à cela). Ou encore ce moment où Bintou, décrivant le djinn, dit "Ça va, elle s'en prend qu'aux hommes", et que Morjana se sent obligée de lui rappeler à quel point elles tiennent aux personnes décédées, ce que le début du film montre pourtant très bien déjà. Et l'on voit sans doute trop peu les réactions de personnages aux meutres en dehors du trio principal, ce qui est parfois frustrant quand on voudrait juste que ce petit monde réagisse au lieu de rester impassible.

Je tiens encore à le souligner : Kandisha est un film désagréable. Il est prévisible, il est gore, il est déprimant, et n'arrive jamais à être angoissant. Quelques moments de répit au début, de personnages qui s'amusent, et puis plus rien, rien que la mort, toujours plus violente.

Je pense, si je peux me permettre de risquer la surinterprétation, que le film est une métaphore. L'ancrage du métrage dans les réalités de la misère, de la crasse, du viol, de la drogue comme échappatoire, de l'abandon des quartiers populaires, et surtout le désespoir permanent face à la violence qui est là, prévisible, inarrêtable, et tue peu à peu les hommes du quartier... Je pense que ça donne une idée de l'impuissance que l'on peut y ressentir. Il suffit d'écouter ce que dit Abdel, frère de Morjana, après trois meurtres : des morts, y en a tout le temps. Depuis que ses parents sont morts, il ne croit ni en Dieu, ni aux Djinns.

La fin me paraît bien conclure sur le thème de l'indifférence de la société et de l'ultraviolence. D'abord ce bâtiment détruit, cet immeuble où des gens ont vécu, où des artistes ont exploité les espaces vides, réduit à néant, parce qu'il gêne. Puis le petit frère d'Amélie, qui trouve pour seule issue de perpétuer le cycle de la violence.

C'est un film dur. Bien réalisé à de nombreux égards. Parfois maladroit, mais plutôt inspiré, je pense. Je ne sais pas si je le conseille, c'est vraiment pas un bon moment. Mais je n'en sors pas indifférent.

Avant de vous laisser, une musique sans rapport avec le film, si ce n'est une vague association d'idée en fin de visionnage, qui a donné son titre à la critique : https://www.youtube.com/watch?v=bfiyPW4beKc

Naskor
7
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le 21 janv. 2023

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