Nous sommes en décembre 1974. Sept ans après sa dernière apparition au cinéma dans le misérable La Revanche de King Kong, le gorille géant fait déjà l’objet d’un nouveau projet : Michael Eisner, futur président de la Paramount puis PDG de Disney, lance en effet l’idée d’un remake du film original de 1933. Après une suite frustrante sortie la même année puis deux japoniaiseries dans les années 60, le mythe a pour le moins perdu de sa superbe et l’homme a bien compris que le plus judicieux à faire dans ce type de situation était encore d’en revenir aux sources. Remaker King Kong, donc : une idée alors pas plus conne qu’une autre qui trouvera un écho certain dans les locaux de deux majors concurrentes – j’ai nommé Universal et Paramount.


C’est cette dernière, en collaboration avec le producteur italien Dino De Laurentiis, qui décrochera la première le projet… s’attirant par là même les foudres de sa concurrente Universal, qui se serait bien vue elle aussi le concrétiser. Oups ! Passons : quelques péripéties juridiques et financières plus tard, nous voici désormais en janvier 1976. Avec en vue une sortie pour le Noël suivant, le tournage de cette relecture contemporaine de King Kong commence enfin, avec à la barre le réalisateur John Guillermin, fraîchement auréolé du carton plein de sa Tour infernale. Guillermin qui, pour l’anecdote, n’était que le second choix de De Laurentiis, après un certain… Roman Polanski ! Qui n’était hélas pas intéressé par le projet. Toujours est-il que sept mois plus tard, en août 1976, le film est dans la boîte ! Puis – comme prévu – dans les salles (américaines comme françaises) pour les fêtes de Noël. Un cadeau ?


En quelque sorte, puisqu’à défaut d’être irréprochable, ce King Kong 1976 tient ma foi plutôt bien la route et fait en outre montre de quelques qualités indéniables… ce qui en fait donc, après trois ratages dont deux sans appel, un revival finalement assez salvateur ! Qui, s’il ne rivalise évidemment pas une seule seconde avec le second remake que réalisera trois décennies plus tard Peter Jackson (et ce n’est pas une honte de faire moins bien que Peter Jackson), a le mérite d’être tout à fait décent et – accessoirement – de ne pas pisser à la gueule de l’opus original. Ce qui, dans la grande famille des remakes, en fait déjà une réussite.


Notons d’ailleurs que, si le futur remake de Peter Jackson s’attellera lui à respecter religieusement – tout en l’enrichissant sensiblement – le film de 1933, cette version 1976 fait elle le pari d’en réactualiser le contexte et les enjeux : oubliez la Grande Dépression et parlons un peu de pétrole, voulez-vous ! Là où le film de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack prenait place dans un contexte post-krach de 29, cette nouvelle mouture intervient elle dans la continuité du premier choc pétrolier de 73. Une mise à jour qui s’opère à tous les niveaux du film, à commencer par ses personnages :


En 1933, le cinéaste Carl Denham partait sur l’île du Crâne y réaliser un film ; en 1976, le cadre de la firme Petrox Fred Wilson part sur une île sans nom y débusquer un gisement de pétrole. En 1933, le second de l’équipage Jack Driscoll était un marin bourru ; en 1976, Jack Prescott (futur papa de Sidney ?) est un paléontologue infiltré clandestinement sur le navire. En 1933, Ann Darrow était une jeune femme sans le sou ; en 1976, Dwan est une actrice à la dérive… littéralement : on découvre le personnage au cours de la traversée, endormie dans un canot ballotté par les flots. La CHANCE ! En même temps… si le moteur de l’histoire est désormais une chasse au pétrole plutôt qu’un tournage de film, comment diable justifier la présence à bord d’une femme – pas trop moche si possible ? Eh bien en faisant surgir à l’écran un petit canot de sauvetage avec une sublime actrice dedans. Suffisait d’y penser !


Bref : les personnages de cette cuvée 1976 ont tous changé de nom et/ou de prénom (pourquoi… ?), de profession mais aussi de caractère. Et pas forcément pour le meilleur : autrefois charismatiques, les deux personnages masculins sont désormais antipathiques au possible. Certes, le premier a le rôle ingrat de l’histoire, me direz-vous, mais il est surtout interprété ici par un Charles Grodin complètement insipide. Quand le second est lui devenu un chevalier blanc et donneur de leçons assez déplaisant, d’autant plus tête à claques qu’il est campé par un Jeff Bridges de vingt-sept piges looké comme un clochard BG.


Celle qui sauve la distribution est assurément Jessica Lange, ceci malgré un rôle de cruche complète, qui la voit dès son introduction/réveil pleurer le sort de ses précédents camarades de traversée (logique) puis deux secondes plus tard glousser comme une dinde et faire les yeux doux à Jack (moins logique). Avant de nous expliquer tout sourire qu’elle a été – hi hi – « sauvée par Gorge Profonde » puis – hi hi – de le répéter encore un coup histoire d’être sûre de bien terrasser de malaise les derniers spectateurs ayant survécu à la première réplique. M’enfin si son rôle est clairement écrit avec la bite (comme cette critique), l’actrice a au moins pour elle une plastique admirable et fait sans problème de son rôle de ravissante idiote la principale attraction du film (bon allez, derrière le gorille, si vous voulez… quoique…). La regarder accoudée au bastingage du navire à contempler l’horizon sur une musique de John Barry suffit en ce qui me concerne à justifier le visionnage du film.


Et oui, puisque ce n’est rien de moins que John Barry qui compose la bande-son de ce King Kong 1976 ! Bande-son aux accents délicieusement… bondiens, naturellement : une réflexion que je me suis faite après grosso modo quatre minutes de film, avant d’avoir la délicieuse surprise de voir le nom du compositeur s’afficher à l’écran. Et sa bande-son est sans surprise l’une des autres qualités de ce remake, plein de mélodies que l’on croirait sorties d’un Bond de l’époque. Je pense notamment à son splendide love theme, qui évoque très fortement le morceau Bond Lured To Pyramid du futur Moonraker. On s’attendrait presque à voir débouler Roger Moore à l’écran (ce qui n’arrivera pas, calme-toi).


Et en parlant de James Bond, notons la présence dans un second rôle quasi muet de Julius Harris, le Tee Hee de Vivre et laisser mourir. Il ne sert à rien ici mais sa trombine ne manquera pas d’interpeller les bondophiles aguerris (qui sont des gens biens).


J’ai parlé des personnages humains mais n’oublions pas le gorille géant qui donne son titre au film : King Kong. Si l’idée était initialement d’employer un robot grandeur nature, celui réalisé par Carlo Rambaldi et Rick Baker s’avère finalement impossible à manœuvrer correctement, si bien que le second finira par se glisser lui-même dans la peau du singe pour la quasi-totalité des scènes du film. Le costume étant bien plus réussi que ses deux prédécesseurs nippons, et la gestuelle de Baker bien plus convaincante, le résultat est au demeurant tout à fait décent.


Point regrettable en revanche, le film ne présente qu’un seul autre monstre en plus de Kong… fini les dinosaures (tyrannosaures, ptérodactyles et cie) du film original, Kong n’affronte plus ici que le serpent géant. Les humains, quant à eux, n’affrontent du coup que Kong, et pas une seule autre créature sauvage. Dommage… ces scènes – certes pas essentielles – sont pourtant des moments sympas des versions de 1933 comme de 2005. Mais il faut croire que les dinosaures n’avaient plus la cote dans les années 70.


Dernière évolution de taille (400 mètres) vis-à-vis du film original : le lieu du climax. Inauguré en avril 1973, le World Trade Center dépasse alors l’Empire State Building que gravissait King Kong en 1933. Qu’à cela ne tienne ! Kong – qui n’a rien à compenser, non non – gravira désormais les tours jumelles.


Ces quelques actualisations de contexte/enjeux/personnages/décors considérées, le film reste au demeurant un remake assez fidèle à l’original, dont il respecte globalement la trame et les péripéties principales (la traversée, l’arrivée sur l’île, l’interruption d’une cérémonie indigène, la capture de la blonde, son offrande à un gorille géant, le périple de ses compatriotes pour la récupérer, la capture du singe géant, son transport à New York, son exhibition puis sa fuite et enfin sa chute et sa mort).


On notera tout de même que là où dans le film de 1933, c’était le personnage de Carl Denham qui connaissait l’existence d’un singe géant sur l’île – singe qu’il espérait en fait débusquer –, c’est ici le personnage de Jack qui en connait l’existence. Et que Fred Wilson (le Carl Denham recyclé) refusera de le croire jusqu’à le voir de ses propres yeux. C’est vrai que l’intérêt d’un gorille géant est moins évident pour un cadre sup que pour un cinéaste… enfin, jusqu’à ce que le cadre sup réalise qu’il ne pourra pas exploiter le pétrole qu’il est venu chercher…


Pétrole qui, pour l’anecdote, est employé par les indigènes comme lubrifiant : qu’est-ce qu’ils sont malins, ces sauvages ! J’y penserai la prochaine fois.


Dernière qualité indéniable du film : ses décors naturels. Toute la partie sur l’île (du Crâne) est filmée sur l’île Kauai (archipel d’Hawaï) et certains paysages sont beaux comme tout. Dommage que, globalement, la mise en scène soit terriblement quelconque et sans fulgurance aucune. Une poignée de scènes sympas sortent du lot (je pense par exemple aux passages de la barque dans le brouillard puis de l’arrivée sur l’île/plage embrumée, où se fait sentir un sympathique parfum d’aventure) et quelques plans fonctionnent bien (la scène de la main de Kong qui sort de la fosse enfumée avant de s’effondrer) mais la mise en scène manque tout de même… de viscéralité ou de virtuosité je ne sais pas, mais elle en manque. Aucune ampleur particulière lors des différentes scènes avec King Kong, dont l’arrivée à l’écran est par exemple affreusement plate comparée à celles de 33 ou 2005 (ici il débarque en marchant comme un humain, Dwan crie un coup pour la forme, puis il la chope et repart tranquillement), ni aucune émotion même lors des passages clés. C’est dommage !


Le film n’est pour autant pas fondamentalement désagréable et déroule tranquillement son récit pendant 2h15 sans ventre mou à déplorer. Quelques idées amusantes – la coiffe blonde aux sacrifiées, qui justifiera la capture de la blonde Dwan – et dialogues lunaires – la même Dwan qui explique à un gorille de 16 mètres de haut que c’est un foutu macho et que les arbres massacrés qu’il laisse derrière lui sont le signe de son insécurité (la FRAGILITE SIMIESQUE, on en talk ?) – pimentent en outre le tout et participent au charme du film. Auquel il convient naturellement d’ajouter ceux de Jessica Lange. On ne remerciera d’ailleurs jamais assez Kong d’avoir eu la présence d’esprit de la désaper devant nos yeux.


Bref : à défaut d’être aussi révolutionnaire que son aîné, ce King Kong de 1976 est somme toute un remake plutôt plaisant. Qui n’arrive pas à la cheville de celui réalisé trente ans plus tard par Peter Jackson mais qui a le mérite de ne pas saloper l’original. Et qui a pour lui quelques idées sympas.


Un remake qui, comme le film de 1933, connaîtra lui aussi une suite… mais dix ans plus tard seulement : King Kong Lives ! Eh oui, le même King Kong qui finit ici troué comme une passoire a en fait survécu (!) et va même recommencer ses carabistouilles, pour le compte (en banque) du producteur Dino De Laurentiis… Comment ? Eh bien disons que, comme Larry, Dino a plus d’un tour dans son sac…

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le 5 déc. 2021

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