Il y a un truc avec Laika, le studio d'animation de Pittsburgh, et les yeux. Dans Coraline, l'heroine éponyme s’échinait à ne pas se faire coudre des boutons à la place des zieux. Kubo, le jeune garcon, role principale de ce nouveau long métrage, est poursuivi par le Roi Lune, qui lui a déjà piqué un oeil, et s'emparerait bien du deuxième.
Si vous n’êtes pas certain d'aimer Kubo, je vous recommande chaudement la bande-annonce, qui donne le ton juste comme il faut sans rien spoiler de bien important. J'avoue que je ne suis pas fanatique de Laika, et c'est donc purement sur les mérites de la BA que je suis allé voir Kubo. Bon, et aussi parce que je suis un geek de l'animation, mais comme je n'ai guère l'occasion que de voir une poignée de films au cinema par an ces temps-ci, je dois bien faire des choix. Je suis d'autant plus content de rapporter que Kubo est sans conteste mon Laika préféré, et une oeuvre solide dans le domaine.
Le domaine est large, puisqu'il couvre l'animation traditionnelle, l'image de synthèse, et aussi l'animation image par image (stop-motion) utilisée ici, et dont Laika, comme Aardman (Wallace & Gromit), est porte-bannière. Kubo se pose certainement comme un favori pour l'Oscar de l'Animation 2016. On est en droit de se demander quelle folie anime les maîtres d'oeuvre du studio, devant un tel déploiement d'efforts, d’ingéniosité et d'acharnement. Il eut été tellement plus simple de faire de Kubo juste un autre film entièrement réalisé par ordinateur, et j'ai bien peur qu'une majorité de spectateurs ne se pose même pas la question: l'animation est tellement parfaite, les textures tellement organiques, et les détails si fins, même un oeil expert surestimera facilement la portion de plans retouchés sur écran. Faisons donc justice aux artistes: ces océans déchaînés, ces forêts, ces décors sensationnels, ces êtres fantasmagoriques, sont presque essentiellement des créations de plasticine et de sang. Et si vous n'y croyez pas, je ne vous en voudrai pas! Mais regardez donc cette excellent vidéo démontrant la technique extraordinaire des magiciens de Laika (spoilers, donc voyez le film en premier).
https://youtu.be/zHyTYL1Z1aM
Enfin, ce n'est pas tout d'avoir la technique, il faut que l'histoire suive. L'univers fantaisiste de Kubo est largement inspirée de l’extrême orient médiéval, en particulier le Japon. Se greffent dessus une bonne dose de mythe et de magie, et une trame somme toute très occidentale basée sur les valeurs de la famille, l'aventure, et pour bonne mesure, l'importance d’écouter ses parents. Il faut bien avouer qu'il n'y a rien de révolutionnaire, là-dedans, mais le script solide, des acteurs inspirés, et la progression satisfaisante de l'intrigue, le tout accompagné de la merveilleuse bande son de Dario Marianelli (dont, personnellement, je me rappelle pour "V Pour Vendetta"), ont largement assez de pèche pour faire passer une centaine de minutes comme un origami par une boite aux lettres.
J'aurais bien aimé un univers un peu plus construit, et un final plus dramatique et surprenant. Kubo n'est pas dans la même ligue, sur ce plan, que le meilleur de Ghibli ou Pixar. Le village de Kubo n'a de vie que par l’intermédiaire du héro, là ou un Miyazaki saurait en trois ou quatre scénettes faire de cet ensemble un monde animé de sa vie propre, un background à la mesure du talent des animateurs et modeleurs. La confrontation du dernier acte, quant à elle, aurait bénéficié de plus de poigne et de profondeur.
C'est la différence entre un 8 et un 10, mais ça ne change rien à ma recommandation: un film à voir avec les zieux grands ouverts. J'en profite pour dédier cette critique à ma prof de bio du lycée, qui m'a irremediablement appris, il y a bien longtemps, le pluriel d'un oeil, avec ses drosophiles à zieux rouges et à zieux vert. Merci Madame, et bonne soirée.