Si L’Amour Existe était une chose, ce serait une feuille de papier. Parce qu’à une feuille de papier on n’y accorde pas beaucoup d’importance, on l’utilise quand on en a besoin et on la jette quand on en a terminé. Ici nous sommes à la partie de la vie d’une feuille ou nous avons fini de l’utiliser et nous nous en sommes débarrassés. On ne cherche pas à comprendre, on regarde et on ne réagit pas. On voit cette feuille froissée, écrasée par les passants et que le vent fait se déplacer, on l’observe sans y prêter attention et quand on l’a passé on l’oublie tout de suite. Eh bien pour L’Amour Existe c’est un peu la même chose. Quand on regarde ce court métrage mettant en avant la surpopulation parisienne, la qualité de vie relativement médiocre et tout ce qui va avec, on est touché, certes, mais pas longtemps. On voit la vie de ses pauvres gens qui n’ont pas beaucoup d’argent, mais leur métier d’ouvrier (pour la plupart) nous rappelle que l’on a besoin d’eux. Mais dès que le film est terminé on les oublie. On regarde autour de nous et on observe notre entourage, notre style de vie de bien meilleure qualité qu’eux en sachant que notre situation va évoluer avec le temps alors qu’eux non. Et la feuille de papier non plus. Tant que personne ne la ramasse elle restera par terre à se faire piétiner par les autres, elle fait partie du décor et personne n’y prête attention. Après tout il y avait beaucoup de papiers qui trainaient dans les rues à l’époque non ? Les rues étaient-elles plus sales qu’aujourd’hui ? Après tout qu’en avons-nous à faire ? C’est la vie c’est comme ça. Depuis rien n’a changé ; les quartiers sont toujours surpeuplés et Paris est toujours aussi pauvre en verdure, les métros sont toujours bondés et les durées de trajets de certaines personnes sont toujours aussi longues. Et tout le monde dit que ce n’est pas normal de vivre aussi loin de son lieu de travail, que ce n’est pas normal de voir ces feuilles trainer dans les rues, tous ses déchets qui polluent mais personne n’agit. On râle, on critique mais on ne fait absolument rien. Le narrateur peut prendre la voix la plus en détresse possible cela ne changera rien, il peut employer des mots forts, il peut utiliser des images surprenantes de bâtiments énormes aux toutes petites fenêtres, des enfants qui jouent sur un pauvre petit toboggan ou dans un terrain vague. Et même les personnes qui vivent dans ce genre de bâtiment trouvent ça normal ? Ce genre de bâtiment qui est déjà usé avant même que la construction soit terminée, ce géant de papier qui peut s’effondrer aussi rapidement qu’il a été construit.
C’est devenu une tempête de papiers, il n’y en a plus un mais des milliers qui tournent et qui s’envolent. Mais personne ne réagit, comme un élément du décor, certes un peu gênant mais on s’y habitue vite. Et pour fabriquer tout ce papier il faut bien des arbres non ? Du coup on déforeste, et à la place de ces trous on n’a qu’à construire des quartiers pavillonnaires, ces « petites » maisons avec leur « petit » jardin occupé par des personnes qui ont un « petit » boulot et qui mènent une « petite » vie tranquille. La voix du narrateur, quelque peu soporifique a quand même une pointe d’émotion, un sentiment de tristesse un peu mélancolique ; on pourrait presque croire qu’il a perdu foi en l’humanité. À quoi bon, autant les laisser faire, autant laisser cette feuille traîner que quelqu’un finira bien par ramasser, autant regarder ce court métrage jusqu’au bout parce que je n’ai rien d’autre à faire et que de toute façon de ma position je ne peux rien faire. Déjà à cette époque on critiquait ce genre de « civilisation » si on peut l’appeler comme ça, mais cela n’a pas changé, rien n’a changé. La feuille de papier a été oubliée malgré son voyage vers notre époque et même si maintenant elle et passée au format numérique on n’entend plus parler d’elle.

FlorentinSeg
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le 13 avr. 2019

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Florentin Seg

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