Que n'ai-je connu ce film plus tôt! Remarquable western! Comment se fait-il que ce film soit si peu cité? Alors qu'en bien des points il est plus que très bon.

D'abord, commençons par poser le récit. Il s'agit d'une sorte de huis-clos des grandes espaces. 5 personnages pas vraiment archétypaux (première note surprenante d'authenticité) s'affrontent lors d'un périple périlleux à travers la vastitude du grand ouest.

Howie, joué avec un brio hors du commun par James Stewart est un type désespéré, à la limite de la dépression nerveuse, bafoué en amour, trahi et plein d'amertume. Il s'est mis en tête, de manière quasi obsessionnelle d'attraper Ben, un gars accusé de meurtre, lequel est interprété magnifiquemet (avec moult subtilités de ton et de gestes) par un étonnant Robert Ryan.

Ce dernier est flanqué d'une amoureuse et quelque peu naïve Lina (Janet Leigh) qui va progressivement se rendre compte qu'elle fait fausse route.
Quelle performance d'actrice pour ce rôle plein de passion et de subtilité! Encore de la subtilité? Mais ce film en est bourré de ces petites notes, qui sans en avoir l'air, font passer un souffle d'émotions.

En chemin, Howie va s'adjoindre les services du vieil Jesse Tate (Millard Mitchell) et de Roy Anderson (Ralph Meeker), un énigmatique officier de cavalerie déchû de ses fonctions pour d'obscures raisons.

Dans ce groupe, Ben le prisonnier va insidieusement gangréner les relations entre les trois mercenaires, les mettant face à leurs vénales ambitions et par là, face à face, cupidité contre cupidité.

Mais on pourrait facilement justifier un sixième larron, un personnage à part entière, créé de toute pièce par la mise en image et la mise en scène de Mann : la nature, omniprésente, à la fois vaste géôle, fourbe et bourreau à l'occasion.
Surtout elle exacerbe les vélléités, les désirs, les peurs, les rêves et les cauchemars des protagonistes. La nature révèle les personnalités de manière quelque peu perverse. Sans pitié.
Omniprésente en arrière plan, même dans les scènes d'action. Toujours là. Derrière (en fond les reliefs montagneux, les rivières), autour (la masse rocheuse, les barrières de rocs à escalader, au dessus (la voûte céleste superbement mise en exergue comme une chape de plomb par des contre-plongées savamment orchestrées), au niveau sonore enfin avec les bruits continuels de la nature, les torrents impétueux, le vacarme des rochers qui dévalent, etc. Bref, la nature emprisonne les personnages dans leur trajet. Ne les lache pas d'un pouce, exerçant une pression continue, sur leurs blessures physiques mais plus encore morales, jusqu'à les étouffer, à l'étuvée, jusqu'à les faire exploser.

C'est somptueusement écrit et réalisé. Le scénario est on ne peut plus simple et pourtant, s'y cachent ici et là des moments de grandes émotions, de rare violence également(encore un sujet d'étonnement pour un western de cette époque, bien avant les Leone ou Peckimpah), d'originalité enfin, avec d'habiles interprétations surtout de la part de James Stewart et Janet Leigh, interprétations touchant pour ces deux-là au sublime.

C'est tout connement un des plus beaux westerns que j'ai vu jusqu'à présent. Et je m'étonne encore plus de ne le découvrir que maintenant. Le cinéma offre parfois d'éclatantes surprises, éclatantes et ô combien réjouissantes. Celle-là en est une belle!
Alligator
9
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le 30 déc. 2012

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4 j'aime

Alligator

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