L'Appât
6.6
L'Appât

Film de Bertrand Tavernier (1995)

Du très peu de connaissance que j'ai sur le cinéma de Bertrand Tavernier, il faut avouer que l'on voyage au cœur de véritable montagnes russes, à l'image du personnage de Nathalie trompant l'ennui en naviguant entre les cinq doigts de la main. Non pas que son art passe du bon au mauvais, encore mieux, il étire sa capacité en passant de la vieillesse à la jeunesse, du contemplatif de la campagne jusqu'au strident de la capitale ou de la beauté ambiante à la désolation luxuriante. Bertrand Tavernier est un polyvalent qui avec Un dimanche à la campagne et aujourd'hui L'Appât, évolue et s'amuse dans des lieux et des situations plus différentes les unes que les autres. Il est libre et maître complet de sa mise en scène, à l'ambition créatrice d'émotions et d'émancipation.


L'Appât, c'est cette jeune fille, Nathalie (Marie Gillain), noyée dans une spirale sans fin au cœur des lumières aveuglantes de la ville. Elle est belle et rêve de cinéma et de gloire, mais garde les pieds engouffrés dans les griffes illusoires du show-business. Un monde fantasmé et destructeur caractérisé par cette notion horrifique mais bien réelle : coucher pour ''tenter'' de réussir. A coté de cette ambiance dangereuse et nauséabonde des grands restaurants parisiens, Nathalie vit avec son petit-ami, Eric (Olivier Sitruk), et un des amis à lui, Bruno (Bruno Putzulu). Leurs quotidien se dessine délabrement au sein d'un petit appartement où règne cinéphilie, paresse et misère. C'est d'ailleurs peut-être l’énième visionnage de Scarface signé De Palma qui va révéler au petit groupe sans tabous le gout sucré de l'accession et de la richesse sauce américaine. De là, le trio s'enlise dans une perspective de lancement d'une chaîne de commerce outre-atlantique et trouverait l'argent nécessaire pour mener à bien le projet dans le vol et les braquages, en tombant ainsi inévitablement dans le crime. Le crime et ses dérapages, source de l'incompétence et de l'insouciance des ces trois petits malfrats. Au cœur de cette affaire, Nathalie grâce à sa large gamme de relations venus toutes droits des hautes sphères parisiennes, devient l’appât attirant les cibles aisées vers le dépouillement amateur, mais sans-retour.


Le long-métrage se promène entre le dynamise criminel d'un Scorsese, la contemplation d'une jeunesse désœuvrée typique d'un Larry Clark et la liberté d'une ballade sauvage en plein Paris à la Truffaut. L'Appât est un jeune d'enfant devenant tremblant de peur et de dangerosité lorsque la mort et la police vient sonner à la porte. Bertrand Tavernier filme une jeunesse rêveuse, courant après la gloire en étant prêt à réaliser tout et n'importe quoi. L'Appât est une oeuvre libre et sous haute-tension, nous faisait courir, sursauter et attrister quand il le faut au rythme des péripéties scrutées de bas en haut. Mais L'Appât est aussi ce monde vicieux et impénétrable du show-business où celle qui reverraient d'art et de gloire finiraient comme objet de désir des gros du milieu. D'abord victime de cette magnifique caractéristique, Nathalie met finalement sa beauté au service d'un projet vague et flou élaboré sous l'asphyxie de l'amour au cœur d'un simple petit café parisien. La jeunesse dans sa grande volonté et son esprit foisonnant est libre, peut-être trop, et finie telle une tragédie destructrice par favoriser l'opportunisme et le lâche sauvetage de sa propre peau. Nathalie est jeune et oublie cet amour avec Eric qui s’avérera peut-être comme une petite chronique de sa longue vie. Elle s'envole loin de ce jeu dangereux et criminelle laissant ainsi ces petits piliers de vie sombrer entre les barreaux. L'Appât abandonne son service et son détenteur privilégiant ainsi la fuite et la vie.


L'Appât de Bertrand Tavernier est un film passionnant ainsi que profondément vivant et mouvementé à l’image de cette ballade criminelle au cœur de Paris. Incarné à merveille par Marie Gillain, Olivier Sitruk et Bruno Putzulu, ce trio de criminel amateur est en proie au rêves nourris de cinéma américain, d'espoir dans la show-business et tout simplement d'amour. Un amour qui rend à la fois aveugle et déterminé, qui sait trancher terriblement et ferait oublier le mal causé au profit de la passion.

RemiSavaton
8
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le 1 mai 2020

Critique lue 155 fois

Rémi Savaton

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