Le fait divers avait défrayé le chronique : une jolie jeune fille se faisait inviter par des hommes riches et permettait l’accès à deux complices qui venaient les cambrioler, torturant et assassinant deux personnes avant d’être arrêtés. Un roman en fut tiré, que Tavernier adapte à son tour.
La neutralité de ton qu’on avait déjà constatée dans L.627 est de nouveau à l’œuvre. Tavernier évite avec soin le sensationnel de son sujet pour adopter le point de vue des protagonistes, qui s’illustrent avant tout par leur inconscience. Ces trois jeunes de vingt ans rêvent d’Amérique, d’une grande vie dans les soirées parisiennes, flambent sans soucis du lendemain, et calquent leur imaginaire sur l’étroitesse de leur culture. Le scénario insiste un peu lourdement sur cette dernière, avec une place très importante accordée à la télévision (ils connaissent Scarface par cœur), les publicités, les clips et les posters de films d’action aux murs, et un portait qui fait d’eux des gamins. Quand l’un joue à braquer avec son arme avant qu’un coup ne parte tout seul, l’autre écrit avec soin et couleurs dans son cahier son tableau de chasse social.
La froideur du traitement est un atout : le détachement des protagonistes contamine les scènes et met à égalité une dispute de couple, un retour chez maman ou une séance de torture. L’instabilité met en relief la possibilité d’explosions brutales d’individus immatures et sans repères, persuadés que la violence à laquelle ils sont recours témoigne surtout de la détermination dont font preuve ceux qui finissent par réussir. Marie Gillain joue particulièrement sur cette partition ambivalente, oscillant entre la vamp et l’enfant mal dégrossie, l’effroi et la technique de l’autruche en poussant le volume des clips lorsqu’on torture dans la pièce à côté.
Il n’est dès lors pas évident d’expliquer ce qui « manque » au film pour pleinement convaincre. Exiger de lui plus de chair, de profondeur, de sens, c’est probablement aller à contre-courant des partis-pris du réalisateur. Mais c’est aussi se remémorer tout ce qu’il sait d’habitude insuffler dans un film, dans des personnages et des thématiques, que ce soit la communication entre les êtres, la blessure, la quête, le regret… autant d’éléments de maturité qui, forcément, n’appartiennent pas à la bande juvénile à laquelle il s’attaque ici. L’Appât appartient à cette catégorie de films « dossier » qui, lors de leur sortie, valent pour leur sujet, à défaut d’approfondir la forme ou les ramifications des thématiques qu’ils abordent. A l’image, finalement, du fait divers qu’il évoque : une fenêtre brièvement ouverte sur un mal du moment.
(6.5/10)