Il n’aura fallu que trois minutes à Andrew Dominik pour dissiper des doutes pourtant légitimes. Il faut dire que même s’il est bon de se montrer toujours ouvert, le métrage part avec de sérieux handicaps : un titre à rallonge qui comporte en son sein la résolution de l’intrigue, cette même intrigue qui n'a donc pas la saveur de la découverte, une voix off omniprésente, un genre loin de son âge d’or, une intrigue éculée, une longueur conséquente, etc, etc. Il y avait en conséquence de quoi se montrer méfiant.


Trois minutes disais-je, au bout desquels le travail du chef opérateur sur la photographie nous saute aux yeux. Une pause plus tard pour contempler la justesse des plans orchestrés par Roger Deakins (chef opérateur attitré des frères Coen) et nous voilà plongé au cœur de l’ouest et de ses mythes. Pour faire la lumière sur l’un des assassinats majeurs du 19e siècle, il fallait bien que cette dernière soit manipulée par un orfèvre du genre. Et donc à l’aube du jour, sur l’immensité faites Ouest, Jesse James s’érige.


Passé la certitude que chaque plan est un agencement formidable d’idées, il nous reste deux heures et trente-sept minutes pour assister à la chute d’une légende. Ce qui frappe notre esprit en premier lieu, c’est cette narration lancinante, sorte de bête hybride entre contemplation et introspection. Celle-ci associée à un montage aux non-dits elliptiques nous offre un rythme tout particulier qu’il est difficile de décrire. C’est ce qui fait de cet assassinat, une œuvre unique et envoûtante.


La relation qu’entretiennent Jesse James et Robert Ford contribue également au mystère qui traverse l’épopée de A. Dominik. Rares ont été les héros légendaires dépeints avec une telle complexité. Jesse (dont le fantôme semble posséder Brad Pitt) est d’une dualité sans pareil : père, mari aimant, craint et respecté de tous, meurtrier, cruel personnage, etc. Comme si la mort en personne avait trouvé en l’amour sa concubine et que rongé par sa culpabilité et la nature de son être, elle oscillait entre l’horreur et la compassion. Quant à Robert Ford (incarné par Casey Affleck dont le caractère unique du jeu profite fortement à l’œuvre), il contribue à assoir la légende. Il est le reflet des inquiétudes de Jesse, la main salvatrice qui pourra le libérer, mais surtout la candeur qui manque tant à Jesse. Il est peut-être un lâche, mais c’est avant tout un homme empli d’admiration, de jalousie et de mépris.


Ce cocktail que nous distille A. Dominik pendant près de deux heures finit par faire naître un Art que l’on n’attendait pas : la poésie. L’infinie mélancolie qui travers peu à peu les yeux bleus de Jesse, écho d’une existence en perdition, mue en un chant poétique rehaussé par une composition hypnotisant de Warren Ellis et Nick Cave.


La voix off quant à elle se veut le phare des contes oublié, rappel historique de vérités enterrées.


Tout à coup, dans le tumulte poussiéreux des souvenirs, ploie la légende Jesse. Et tel Sisyphe, « Bob » Ford se voit jouer encore et encore la scène de l’assassinat, prisonnier de ses propres remords, et condamner à ne jamais jouir de ce qu’il a tant rêver.


L’éclosion d’une légende est un miracle que seul le temps révèle. A. Dominik semble l’avoir compris, et nous offre pendant plus de deux heures trente, l’un des plus beaux « westerns » des deux dernières décennies.


« tuez un seul homme et vous serez conspué par tous, mais tuez-en des dizaines en volant des millions et vous deviendrez un héros » extrait du Roman L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford de Ron Hansen

Westmat

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