La puissance visuelle de L’Assassinat du Père Noël détonne par son aspect étonnamment moderne : plans circulaires remarquables, construction rythmée d’une montée en tension, place centrale apportée au mystère. Ce petit village exerce un curieux pouvoir d’attraction par son apparente simplicité et la bonhommie de ses habitants vite teintées de surnaturel ou de ce qui pourrait s’y apparenter : une femme cherche son chat, appelée Mère Michel comme l’incarnation d’une chanson populaire, un instituteur hurle son paganisme le soir de Noël, un étrange baron à la main gantée refait surface… La première heure du film relève de la pure merveille, disséminant une sensation de confort grinçant enveloppée dans la magie d’une saison hivernale et festive. La dernière demi-heure est plus confuse, tombe dans le moule du film policier avec enquête, traces à suivre et coups de théâtre. On aurait aimé que l’audace dont fait preuve Christian-Jaque aboutisse à un retournement original, à l’imbrication du naturel et du surnaturel ; remettons toutefois le film dans son contexte puisque première œuvre de la Continental, maison de production fondée sous l’Occupation par un régime soucieux de maintenir la production cinématographique française. Dès lors ce petit bijou d’esthétique et de bizarrerie luit davantage car mettant en scène – malgré un final correcteur dans lequel on ne doit pas être la dupe – le symbole de l’enfance et de la magie assassinés par une balle dans la tête et découvert par deux enfants en haut de la montagne. Ou comment les trente dernières minutes constituent le voile de décence nécessaire à la diffusion de la première heure : un village bloqué dans le temps et l’espace, la virilité noyée dans le désespoir et l’alcool, l’enfance clouée au lit et préférant mourir. L’Assassinat du Père Noël traduit une lucidité sur les conditions d’existence d’un peuple occupé qui, bien sagement assis sur les genoux du Père Noël pour la séquence de fin, n’en a pas moins le sang sur les mains.