Magnifique par ses plans audacieusement composés, l'éclairage des scènes, les idées de mise en scène. Ça commence très fort avec ce plan de gare ; puis la détresse de la femme délaissée dans la chaumière, exprimée par une assiette vide ; puis le travelling très libre dans les roseaux, nimbés d'une lumière lunaire ; puis le raccord entre les papouilles des amants et celles du bébé et de sa mère. On touche ici à l'essence du cinéma : exprimer beaucoup (ici la place dévolue à chaque personnage) avec peu de moyens, mais des moyens purement visuels. La scène de la barque est terrible aussi, d'une grande force, exprimée essentiellement par les regards. Je me rappelle d'autres scènes proches, peut-être influencées par l'Aurore ? La tentative de noyade dans "Une place au soleil" de G. Stevens ou, plus récent, la fin terrible du très beau "Despues de Lucía".


Petit coup de mou dans la deuxième partie : l'épouse éplorée agace franchement, et ça dure... Tout cela se résout dans l'église (absolument pas crédible de vivre une nouvelle lune de miel au sortir d'une tentative d'assassinat, mais peut-être est-ce l'œuvre de Dieu dans l'église ? On sait que Murnau était tout sauf un mystique).


Le film aborde alors une phase tout à fait inattendue : une troisième partie complètement légère, qui fait souvent sourire, et avec encore de très belles idées - l'embouteillage créé par le couple qui s'embrasse, puis le petit cochon qui passe aux pieds des femmes dont on ne voit que les jambes par exemple. Ça vire même à la comédie, avec la scène de la bretelle de chemisier qui tombe. Plutôt à mettre au crédit du film de changer ainsi de registre.


La dernière partie renoue avec l'atmosphère dramatique du début, et de nouveau des plans superbement composés, de vrais tableaux. Je pense par exemple à l'intérieur de la maison de la femme fatale, à sa position sur un tronc en surplomb, telle une panthère, ou aux barques sur l'eau dans la nuit, éclairées par des lampions. La dernière scène, apaisée, est sérénissime !


Mes quelques réserves sur la deuxième partie s'estompent avec le recul, et aussi grâce à l'analyse (DVD 2, passionnant) : au-delà de l'art purement cinématographique, le film est très profond. L'homme, soumis à ses pulsions sexuelles (les forces de la nuit, l'excitation de la ville) ne trouvera le juste équilibre dans son couple qu'après les avoir affrontées en compagnie de son épouse (qui, dans la troisième partie, s'éveille peu à peu à la sensualité dans des scènes débridées - le petit cochon saoul l'incarne). Loin d'être le diable comme on pourrait le penser, la vamp a été bénéfique à ce couple auparavant désincarné, lui conférant un amour plus complet, ouvert aussi à la sensualité (incarnée à la fin du film par les cheveux de l'épouse enfin lâchés).


Une histoire "banale", comme le dit le prologue, portée à l'universel par l'art cinématographique. Un chef d'œuvre, oui.

Jduvi
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le 19 juin 2017

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Jduvi

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