Il fallait bien toute la fougue d'Aldrich pour faire de ce Bip Bip et Coyotte ferroviaire un morceau de bravoure si captivant. On se demande pourtant au départ comment il va lui être possible de nous intéresser avec une histoire qui se résume à un train et deux gros tempéraments, le premier protégeant sa monture de ferraille, l'autre souhaitant y monter pour profiter d'un voyage gratos. Sur le papier, ça fait vraiment pas rêver et pour cause, un train et des rails, ça peut vite tourner à la farce peu intéressante. Mais c'est sans compter sur l'inventivité du badass Aldrich et sa capacité à mettre en scène des personnages monstrueux de classe.
Car c'est bien de ça dont il s'agit ici, d'un film de personnages. Bien entendu, on ne peut enlever à l'auteur des 12 salopards son sens de la mise en scène, qui s'exprime à chaque fois que ses deux compères jouent au gendarme et au voleur, mais ce qui frappe ici, c'est cette capacité qu'il a à esquisser les deux monstres qui se font face. Lee Marvin lui apporte certes son charisme évident, comme Borgnine sa ganache patibulaire, mais si les deux hommes parviennent à apporter tant d'intensité à l'écran, c'est parce qu'ils sont écrits sans retenue. Shack est un salopard de première quand Number one (dans le genre "j'annonce la couleur" sans détour c'est costaud !) nous paraît sympathique dès sa première apparition. Du coup, lorsque le moment tant attendu qui voit les deux hommes s'affronter s'invite à l'écran, il n'y a pas à tortiller, on veut qu'il fasse mal, et c'est le cas. Entre ces deux personnages, auxquels on pourrait reprocher un certain manichéisme, navigue un jeune arrivant au dents longues qui souhaite prendre la place du calife. Quelque peu épuisant dans la première moitié du film, il parvient à trouver sa place en apportant une certaine nuance au propos d'Aldrich. Bon ok, il permet surtout à Marvin d'être le seul à avoir la classe : personne ne lui enlèvera sa cool attitude, c'est une évidence !
L'empereur du nord est un film surprenant. Porté par des acteurs au top de leur art et mis en scène par un réalisateur de talent, qui parvient à nous emporter, pendant plus de deux heures, avec un sujet tenant sur un post it. Une belle prouesse qui fait de ce film un divertissement en béton armé que tout amateur de film baloché à l'ancienne devrait apprécier !