Nov 2009:

Pour tout dire, je suis allé voir ce film avec un petit schéma pré-conçu dans la tête. Je pensais aller voir une expérience cinématographique, un film hybride, constitué des vieilles bobines sauvegardées, accollées à des scènes tournées de nos jours pour boucher les trous du scénario en quelque sorte. Une bande-annonce m'a foutu d'dans. Non, il s'agit bien d'un documentaire classique dans lequel quelques éléments du film inachevé sont commentés et très bien mis en valeur par des intervenants divers, liés au tournage et les deux comédiens Bérénice Béjo et Jacques Gamblin pour effectivement jouer les scènes jamais tournées et essentielles à la compréhension de l'ensemble. Ainsi ai-je été quelque peu déçu et n'ai-je pas vraiment réussi à dépasser cette première déconvenue.

A part les instants où Romy Schneider apparait, fascinante, fée électrique, multicolorisée par les jeux de lumières et de couleurs du laborantin Clouzot, quand ondulant de la croupe sur des skis nautiques elle glisse délicieusement, quand habillée des plus communs vêtements "tue l'amour" elle parvient pourtant à rester d'un éclat et d'une beauté sidérale, à part ces moments d'une sensualité qu'on peut raisonnablement qualifier de magique, le film ne m'a pas réellement transporté, je dois l'avouer.

Certes, on sort également avec la frustration d'être sûr de ne jamais voir cet "enfer" intrigant. Je ne m'attendais justement pas à ressentir cela en sortant. Or le documentaire ne tarit en rien cette soif, mais au contraire l'augmente terriblement.

D'autre part, le film est un peu trop long à mon goût. Dans la dernière demi-heure, on a déjà tout compris, dans le sens le plus général du terme, on n'a plus rien à apprendre et de fait, on n'apprend pas grand chose. Tout le thème du film, l'idée maitresse a été exposée, montrée et démontrée de A jusqu'à Z ; très rapidement tous les éléments expliquant la faillite du projet apparaissent évidents. Le film n'est pas centré sur le film "L'enfer" mais bien sur l'obsession d'un homme un peu malade, l'absence de limites, le vertige de la perfection impossible à atteindre, surtout sur un film aussi expérimental, par définition toujours en recherche de lui-même, sa signification mais plus encore sa forme, l'ajustement de l'image et de l'idée. Clouzot nous joue Icare à son corps défendant mais encore à ceux de ses collaborateurs. Il se perd dans ses personnages, la perception qu'il s'en fait entrant en conflit avec celle qu'il veut que les spectateurs s'en fassent. Forcément paumé devant ce travail colossal, sa faiblesse pour la perfection et l'absolutisme de sa démarche. Un documentaire sur un triste gâchis. Restent quelques bouts de film où l'on devine une puissance érotique et évocatrice chez une actrice terriblement émouvante.

Je ne suis pas sûr que l'histoire de la jalousie et la souffrance de Marcel (Reggiani) m'aurait touché. Celle d'Odette (Schneider) par contre, beaucoup plus, cela va de soi. Les victimes d'autrui ont quelque chose de tragique quand ceux qui se font du mal à eux même baignent d'une aura d'imbécillité. Moui... mon substrat chrétien, moralisateur à deux balles, me joue de vilains tours par moments.

Pour parvenir à créer de nouvelles images représentant la folie croissante du personnage de Marcel, Clouzot s'adjoint les services d'une armada de techniciens de l'image et du son. Le documentaire dépeint avec un didactisme intéressant -pour qui aime le cinéma- cette part pûrement technique du film. Et revèle bien sûr cette recherche volontiers douloureuse de l'image et du son qui raconteront le mieux ce que Clouzot avait visualisé dans son imaginaire. On assiste à cette aventure de la concrétisation cinématographique des idées, des sensations ou des émotions. Travail de titan, à y perdre la tête.

Pour la plupart des non cinéphiles, ce documentaire apparaitra sans doute un peu ennuyeux.
Alligator
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le 30 mars 2013

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Alligator

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