Un cinéma périphérique, d'une fièvre et d'une urgence émotionnelle particulièrement efficaces. Après l'excellent La faute à Voltaire le grand Abdellatif Kechiche ausculte la banlieue et ses langages, sous toutes leurs formes : verve argotique, invectives et violences physiques, bruits qui courent au gré de laborieux coups de téléphone arabe, conciliabules à ciel ouvert et enfin langage dramatique par excellence - à savoir le théâtre.
Fort de son très réussi premier long métrage Kechiche poursuit son envie pratiquement compulsive de sublimer ses comédien(ne)s, quelque soient les plans et/ou les séquences ; qu'il s'agisse de Sarah Forestier rayonnante d'un bout à l'autre, du volontairement sous-exploité mais très touchant Osman Elkharraz ou de la très talentueuse, chaleureuse mais irascible Sabrina Ouazani l'interprétation générale de L'esquive est un formidable paradigme de mise en scène...
Filmé à bras-le-corps ce drame suburbain ne manque pas d'éclats formels, malgré l'apparente simplicité de l'écriture et de la réalisation quasiment documentaire. Nous sommes de fait littéralement noyé dans le quotidien de cette poignée d'adolescents tour à tour cruels, indolents, inertes lorsqu'ils ne sont pas grisés par le langage de Marivaux. Échappant totalement à une vulgaire forme de théâtre filmé L'esquive montre l'univers du jeu et des apparences sociales comme l'éventuelle catharsis d'une jeunesse en proie à la délinquance, lorsqu'elle n'est pas simplement à la dérive. C'est à la fois fascinant et complètement immersif.
Un morceau de cinéma généreux qui se boit à grandes répliques, réaliste et vertigineux dans le même temps. Abdellatif Kechiche - dont le budget semble ici relativement limité - tire un maximum de ses acteurs et de ses actrices, conférant à son deuxième long métrage des allures d'improvisation virtuose. Chef d'oeuvre.