Je n'ai pas vu tant de Fleischer que ça, mais on a là un de ses films les plus aboutis. Je divise l'oeuvre de Fleischer en deux : d'un côté des films colorés, partagés entre la SF et le péplum. De l'autre des films réalistes, aux images assez crues, qui font presque penser au cinéma anglais.
Ici, on est clairement dans la deuxième veine, avec une traque autour de l'étrangleur de Boston, alias Albert de Salvo, qui commence comme un thriller et se conclue comme un film médical à thèse.
Dans la première partie, le montage privilégie les split-screens (l'écran est parfois divisé jusqu'en 4) pour montrer la frénésie montante liée à la multiplication de meurtres par étranglement. On voit le point de vue de l'assassin en vue subjective et la victime qui entend qu'on sonne à la porte ; ou encore les voisins qui sonnent, n'entendent pas de réponses, puis découvrent le cadavre. Ou encore le discours du chef de la police recommandant aux femmes la prudence, tandis que l'écran montre des femmes qui se verrouillent chez elle, regardent par la fenêtre, voire achètent des armes. Enfin le film déroule l'intrigue politique : le maire, soucieux de mettre un terme rapide à cette série de meurtres, nomme procureur John Bottomly. Les différents districts collaborent, ratissent tous les pervers habituels, mais les fausses pistes et les fausses dénonciations sont décourageantes.
Vers le milieu du film, un panoramique nous montre un homme devant sa télé, suivant les funérailles de Kennedy. Il dit à sa femme qu'il sort pour s'aérer. On le retrouve sonnant chez une femme et l'assassinant. Puis il finit par être serré par tentative de cambriolage, et Bottomly le repère.
On entre dès lors dans une troisième partie qui montre la dissociation de personnalité dont DeSalvo, le tueur, est victime. Incapable de se souvenir de ses meurtres, il va être poussé à l'aveu par Bottomly, qui va travailler son inconscient au corps.
Outre le split-screen, le film propose un montage très raffiné. J'aime particulièrement le montage alterné de DeSalvo qui essaie de se souvenir et Bottomly apparaissant dans son flashback, comme s'il était un guide dans l'introspection que le meurtrier tente sur lui-même. Ce genre de trouvaille, difficile à mettre en oeuvre, est frappante. Idem pour les tentatives douloureuses du meurtrier de se souvenir, qui réintroduit des motifs initiés dans la première partie.
La conclusion, qui montre que DeSalvo n'a toujours pas été condamné, étant psychiatriquement dérangé, mais que le dépistage de ce type de pathologie n'a pas progressé, place le film au rang de film à thèse, un peu comme Brooks pour "De sang froid".
Inutile de dire que l'interprétation de Tony Curtis dans le rôle de l'assassin est hors-norme. Certaines de ses mimiques pendant l'interrogatoire, où l'on sent qu'il attend impatiemment les questions, comme un défi aux autorités, et les passages où il est prit d'une sorte de léthargie, puis de transe : tout cela relève du tour de force, et Curtis en vient presque à faire de l'ombre à ce monstre sacré qu'est Henry Fonda !
"L'étrangleur de Boston" est un film en avance sur son temps, avec ses écrans splittés et son montage travaillé et audacieux. Le film colle de manière quasi maniaque à son sujet, ce qui l'empêche d'atteindre une portée universelle, mais lui donne une vigueur incroyable dans le traitement.