Loin de mes a priori, cette adaptation par un Friedkin encore tout jeune ne reposait pas sur une oeuvre ayant simplement trouvé un filon facile grâce au thème de la possession et de l'exorcisme. Le livre de William Peter Blatty (qui garde un œil sur son bébé en tant que producteur), qu'on dit proche de cette version ciné, proposait bien plus que de la terreur au rabais, qu'un sentiment d'horreur vite consommé et vite oublié. D'ailleurs, les effets spéciaux à la quarantaine bien tapée accusent le coup, et le film ne propose plus aujourd'hui de réels moments de peur, du moins d'une peur immédiatement viscérale.
Pourtant, il continue de trôner fièrement au sommet de son genre, parce que c'est un film très intelligent, construit de manière à venir questionner de façon persistante le rapport à la peur de la société contemporaine. Le long mouvement qui voit la science montrer son impuissance et céder petit à petit la main à la religion dans l'espoir de sauver la fillette fait merveilleusement écho aux manques primitifs qui torturent les personnages. Son père, pour Regan, sa Foi, pour le père Karras, qui lui aussi perd petit à petit sa mère comme s'il était impossible de maintenir une vraie filiation dans un monde en progressif délitement.
Le Mal (ou sa possibilité) est lui omniprésent, dès l'ouverture en Iraq, où Friedkin le cherche dans les regards, la vieillesse des personnages croisés à chaque tournant, comme si quelque chose aspirait leur vitalité aux humains. Tout au long, il en sera ainsi ; les signes se multiplient, quand pourtant, les personnages s'attachent longtemps à un rationalisme que le spectateur voit démenti à chaque image ou presque. Bien longtemps avant que les personnages ne se résignent à admettre que toute médecine est inefficace, il ne fait aucun doute aux yeux d'un public comme pris à témoin que l'histoire est belle et bien surnaturelle. Voir les personnages demeurer si aveugles, ou plutôt indécis, fait l'effet perturbant d'une humanité qui croyait avoir laissé la possibilité d'un Mal absolu loin derrière alors qu'il est revenu juste dans son dos, prêt à porter le coup fatal.
La narration, lente juste ce qu'il faut, concrétise cette difficile mais inévitable volte-face vers nos origines et les peurs qui les terrorisaient. La mise en scène, réaliste au possible, rend le tout complètement tangible, sans oublier de se napper d'un profondeur véritable. Et surtout, à ma grande surprise (mais voir L'Exorciste comparé à tant d'autres films d'horreurs postérieurs sur la base d'une simple échelle de peur m'avait sans doute embrouillé, me faisant oublier que le genre était bien moins formaté à l'époque) l'épilogue n'élimine aucun mystère, n'allège aucune pesanteur. Pénétrant et bien construit, L'Exorciste a bien vieilli sur le fond, même si le temps lui a enlevé sa capacité à faire peur de la façon la plus immédiate (mais aussi vulgaire) qui soit. Toujours une référence.