Il est pas frais, ce film. Il n'est pas tout chaud non plus, et c'est bien ce qui nous pose tous problème. « Lost in la Mancha » n'a jamais prétendu que ce film serait un chef-d'œuvre. C'est nous qui avons nourri des fantasmes. Voulons-nous vraiment voir le *Dune* de Jodorowsky ? Moi, non. Voilà un film fantasme, qui comme tous les fantasmes, ne devrait pas être assouvi afin de rester un fantasme.
C'est maintenant juste un film. Et j'ai vu un bon film. Je n'ai plus douze ans, donc pas autant d'enthousiasme qu' à la découverte de *Brazil* ou *L'Armée des douze singes*. Mais du Gilliam, ça c'est sûr, à tous les niveaux. Déjà, pas d'effets numériques, en tout cas pas d'images de synthèses ou très peu, car il les maîtrise mal il faut le dire. Il n'aime pas ça, et son homologue fictif dans le film l'affirme.
Du miroir entre réel et imaginaire, oui. Et poussé plus loin qu'avant. Ce thème est peut-être le plus cher à Gilliam. Le rapport au rêve évasif et ses dangers dans une société totalitaire dans *Brazil*. Même chose pour un SDF dans *Fischer King*. Un homme venu du futur qui doute de venir du futur parce qu'amoureux de sa psychiatre sceptique (*L'armée des douze singes*). L'importance de l'imaginaire pour une enfant (*Les aventures du baron de Munchaüsen*). Les dangers de l'imaginaire pour une enfant ignorante de la mort (*Tideland*). Ici, c'est encore une autre dimension, et les couches de la mise en abyme sont nombreuses. Rêve, souvenir, fiction dans la fiction, acteur qui se prend pour son personnage, hommage à la fiction universelle de Don Quichotte, pionnier de l'imaginaire projeté sur le réel comme une nécessité. Gilliam parvient à emboîter des niveaux de représentation avec tellement d'aisance qu'au final tout cela peut même paraître trivial. Les échos et miroirs sont assez fascinants. L'imaginaire foisonne sans emprunter au fantastique, mais uniquement dans des décors et costumes factices selon l'histoire. Une fête, un tournage, un squat, une pièce de théâtre, les lieux extravagants mais réalistes mélangés à la folie claire et lisible d'un acteur enfermé dans son rôle de Don Quichotte nous tiennent toujours sur le fil entre point de vue extérieur et subjectivité totale de Toby, le réalisateur à grosses chevilles en crise nostalgique, dans un récit étonnamment très facile à lire. Et sans entourloupe. Pas de réveil surprise, pas de doute maintenu inutilement jusqu'à la confusion.
Ce fil on le tire progressivement, doucement, à l'ancienne (vous vous souvenez ces films des années 80-90 où le fantastique, le dinosaure, l'extra-terrestre se faisaient attendre parfois plus d'une heure ?), en prenant le temps de nous faire marrer sur le milieu du cinéma, ses requins et ses groupies et de nous faire attendre les dérives mentales que le titre seul nous fait attendre. Alors il suffit de peu pour que l'entrée dans l'imaginaire sous satisfasse.
Le film coince à plusieurs angles, ne serait-ce que par le traitement des personnages féminins, réduits à leur attrait sexuel, vision quasiment libidineuse, et par de nombreuses répliques inutiles qui casse le rythme. Mais je comprends pourquoi Gilliam tenait tant à ce projet. C'est moins grand spectacle pour atteindre finalement cette prouesse de sublimer le réel pour le rendre aussi puissant que les géants ou les dragons. Ainsi une simple décharge sauvage transfigure un décor surnaturel. Gilliam a pris les leçons de Munchaüsen et sa débauche d'effets spéciaux en dessous des ambitions, comme s'il avait saisi le noyau de force de son propre style. Un certain sommet d'art est atteint, moins enthousiasmant que la démesure d'un Brazil, mais ciselé pour plonger au plus profond de la fiction. Ces couches de recul sur la fiction peuvent s'écailler une à une sur le personnage seul de Don Quichotte, qui, était-ce possible, est ici ni repris ni ressuscité mais décliné.
Et finalement, les vingt-cinq ans de déboires de production de ce film s'ajoutent comme une perle de nacre dans la dernière poupée russe des représentations.
Pequignon
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le 27 mai 2018

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